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POUR ISOLER LE DUC D’ORLÉANS


règne absolu de la bête, et mon inutilité auprès de M. le duc d’Orléans. Tel étoit le plan du cardinal Dubois, que nous lui verrons effectuer dans la suite. Revenons maintenant à sa lettre à moi qu’on vient de voir, et aux artifices dont il tâcha de me circonvenir par lui-même, et par une autre lettre plus étendue que la sienne, qui m’arriva par le même courrier.

Le cardinal Dubois commence sa lettre par une vérité pour donner plus de créance à ce qui la devoit suivre ; mais vérité à qui il donne une étendue qu’elle n’avoit pas. Il fut bien aise, en effet, de mon absence, lors de l’exécution d’un dessein contre lequel il ne se dissimuloit pas que je ne me fusse roidi de toutes mes forces, qui l’eussent sûrement au moins embarrassé. Mais quoi qu’il en puisse dire, mon absence le soulagea encore plus dans la création et la présentation hardie de ce fantôme de cabale si dangereuse dont il osa effrayer le régent. J’étois le seul des intéressés qu’il n’auroit pu en rendre suspect, et à qui il n’eût pu fermer l’oreille de son maître. Il ne pouvoit douter de l’usage que j’en aurois fait ; et j’ose dire que j’ai lieu de douter qu’il eût osé produire ce fantôme en ma présence. Après avoir légèrement glissé là-dessus en commençant, il essaye de détourner mes yeux de son odieuse préséance, sur laquelle il ne fait qu’un saut léger, sans y appuyer le moins du monde, et compte m’infatuer de la prétendue cabale, à la faveur de ma haine ouverte et sans aucun ménagement pour celui qu’il lui convient d’en faire le chef.

Noailles s’étoit si indignement conduit dans l’affaire du bonnet, et avec tant de perfidie, qu’il étoit tout naturel de penser qu’il n’étoit touché de la préséance des cardinaux que par prétexte. C’en fut un en effet, qui, dans lui et dans quelques autres peu touchés de leur dignité, mais beaucoup de ce qu’ils jugeoient être leur fortune, et à quelque prix que ce fût, ne regardoit en rien ni le régent ni son gouvernement, mais la personne unique du cardinal Dubois,

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