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POUR ISOLER LE DUC D’ORLÉANS


ses journées, le rendoit aussi hardi et aussi heureux à entraîner un prince de tant d’esprit et de lumières que s’il en eût été entièrement dépourvu.

Ce fantôme d’une cabale si dangereuse, outre l’usage présent qu’en fit le cardinal Dubois, en renfermoit un autre plus éloigné. Je l’ai tacitement annoncé ici en deux endroits, dont le dernier a été la tentative de remettre le duc de Berwick dans les bonnes grâces de Leurs Majestés Catholiques. Il est temps de le déclarer, simplement pour l’intelligence, sans avancer le récit du succès, éloigné encore de quelques mois. Dubois, toujours en défiance de la facilité de son maître, qu’il ne vouloit que pour soi, méditoit de s’affranchir de toute crainte, et d’éloigner de lui, comme que ce fût, quiconque avoit eu part à sa familiarité en affaires et à sa confiance, et qu’il craignoit qu’ils n’en reprissent avec lui, soit par ancien goût, amitié, habitude, soit par poids ou par hardiesse. Plusieurs de ceux-là, il les faisoit entrer dans la prétendue cabale, et subsidiairement tous ceux qu’il lui convenoit d’écarter. Il craignoit sur tous le duc de Noailles par son esprit, sa souplesse, le goût et la familiarité que M. le duc d’Orléans avoit eus pour lui, et dont il avoit encore des restes ; le poids du chancelier, sur qui Noailles avoit tout pouvoir ; celui du maréchal de Villeroy, même du maréchal d’Huxelles, qui imposoient au régent, quoique sans goût ni amitié, mais qui avoit le même effet ; les divers tenants de ceux-là, tels que Canillac, Nocé et d’autres. C’étoit de ceux-là dont il vouloit s’affranchir en les ruinant dans l’esprit de M. le duc d’Orléans, et préparer leur perte, pour y procéder au premier moment qu’il y verroit jour. Le Blanc, tout son homme qu’il fût, étoit trop avant dans la confiance et les choses les plus secrètes de M. le duc d’Orléans, et Belle-Ile, son compersonnier [1], tous deux ses favoris en apparence et ses consulteurs de tous les soirs, étoient secrète-

  1. Mot employé souvent par Saint-Simon dans le sens d’associé.