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moins aux fêtes dont elle fut suivie. J’étois trop loin pour les voir et pour m’en occuper. Je dis prodigués, parce qu’elle fut en tout et partout traitée comme reine, qu’elle fut même nommée et appelée l’infante reine, et qu’il ne lui manqua que le traitement de Majesté. Je ne compris rien à l’engouement auquel on s’abandonna là-dessus. M. le duc d’Orléans, glorieux sans la moindre dignité, refusoit tout en ce genre, ou en faisoit litière : les mesures et les bornes n’étoient jamais des choses auxquelles il voulut donner le plus court moment de penser et de régler. D’ailleurs, tout étoit abandonné au cardinal Dubois, de naissance et d’expérience fort éloigné d’avoir les plus légères notions du cérémonial, si ce n’étoit pour ce qui regardoit les cardinaux. Il eut donc plutôt fait de se laisser aller à ces profusions d’honneur que d’y donner la moindre réflexion. Il crut faire sa cour en Espagne, et s’y porta avec d’autant plus d’impétuosité que ce fut en chose où l’Angleterre ne pouvoit prendre aucun intérêt.

Le roi et la reine d’Espagne furent en effet très satisfaits, ainsi que toute leur cour, de tout ce qui se passa en France en cette occasion, c’est-à-dire de toutes les fêtes dont je leur rendis compte, qui marquoit la joie et l’empressement, car, pour les honneurs, ils furent regardés comme dus et comme des choses qui ne pouvoient ne se pas faire. L’infante étoit fille de France comme fille du roi d’Espagne, et cousine germaine du roi, enfants des deux frères, et destinée à l’épouser. Ces titres emportoient assez d’honneur pour s’y tenir, sans y ajouter encore presque tous ceux des reines, qu’elle ne devoit pas avoir, et qui étoient contre tout exemple et toute règle. Si on les avoit outrepassés en faveur de la dernière dauphine, avant son mariage, le cas étoit bien différent. Qui, dans un temps où une foible ombre d’ordre se laissoit encore apercevoir, eût pu s’accommoder des prétentions d’une fille de Savoie, dont le père n’étoit pas roi, et cédoit aux électeurs ? Qui, des princesses du sang, auroit