Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/236

Cette page n’a pas encore été corrigée

J’admirai la force des hommes de ces temps, à quoi l’habitude de jeunesse faisoit, je crois, beaucoup. Je fus touché d’un si grand honneur fait à sa mémoire, que son épée fût devenue l’épée de l’État, et que, jusque par le roi même, il lui fût porté un si grand respect. Je répétai plus d’une fois que si j’étois le duc de Sesse, qui en descend directement par femme, car il n’y en a plus de mâles, il n’y a rien que je ne fisse pour obtenir la Toison, afin d’avoir l’honneur et le plaisir sensible d’être frappé de cette épée, et avec un si grand respect pour mon ancêtre. Tout grand capitaine qu’il fût, il ne chassa les François du royaume de Naples que par la perfidie la plus insigne et la plus sacrilège ; et quand son maître, plus perfide que lui encore, n’en eut plus besoin, il le retira en Espagne, où, en arrivant, jaloux et soupçonneux de l’honneur si singulier, on peut dire si étrange, après ce qu’il avoit fait aux François, que Louis XII lui fit de le faire manger à sa table au dîner qu’il donna à Ferdinand le Catholique et à Germaine de Foix, que Ferdinand venoit d’épouser en secondes noces, à l’entrevue de Savone, ce prince ingrat, en arrivant en Espagne, l’accabla de tant de dégoûts qu’il le força de se retirer loin de sa cour, où il mourut bientôt après de chagrin. Mais revenons à la cérémonie après cette petite digression qui m’a si naturellement échappé.

L’accolade donnée par le roi après les coups d’épée, nouveaux serments prêtés à ses pieds, puis devant la table, comme la première fois, et ce dernier encore plus long, après quoi mon fils revint se mettre à genoux devant le roi, mais sans plus rien dire. Alors Grimaldo se leva, et sans révérence sortit du chapitre par sa gauche, coula par derrière le banc droit des chevaliers, prit le collier de la Toison, qui étoit étendu au bout de la table. En ce moment le roi dit à mon fils de se lever et de demeurer debout en la même place. En même temps le prince des Asturies et le marquis de Villena se levèrent aussi et s’approchèrent de mon fils,