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ferme ses maisons sitôt que les chaleurs se font sentir dans cette vallée, qui causent des fièvres très dangereuses et qui tiennent ceux qui en réchappent sept ou huit mois dans une langueur qui est une vraie maladie. Ainsi la cour n’y passe guère que six semaines ou deux mois du printemps, et rarement y retourne en automne. D’Aranjuez à Madrid le chemin est assez beau, à peu près de la distance de Madrid à l’Escurial. Mais, pour aller de l’une de ces maisons à l’autre, il faut passer par Madrid.

À mon retour, le roi et la reine me demandèrent comment j’avois trouvé Aranjuez. Je le louai fort, autant qu’il le méritoit, et dans le récit de tout ce que j’y avois vu, je parlai du moulin, et que je m’étonnois comment il étoit souffert si proche du château, où sa vue, qui interrompoit celle du Tage, et plus encore son bruit, étoient si désagréables, qu’un particulier ne le souffriroit pas chez lui. Cette franchise déplut au roi, qui répondit qu’il avoit toujours été là, et qu’il n’y faisoit point de mal. Je me jetai promptement sur d’autres choses agréables d’Aranjuez, et cette conversation dura assez longtemps. J’y mangeai du lait de buffle, qui est le plus excellent de tous et de bien loin. Il est doux, sucré, et avec cela relevé, plus épais que la meilleure crème, et sans aucun goût de bête, de fromage ni de beurre. Je me suis étonné souvent qu’ils n’en aient [pas] quelques-uns à la Casa del Campo, pour faire usage à Madrid d’un si délicieux laitage.