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et les plus forts se faisant céder la place par les autres, et les marcassins et les plus jeunes sangliers, retirés sur les bords, n’osant s’approcher ni manger que les plus gros ne fussent rassasiés. Ce petit spectacle nous amusa fort, près d’une heure.

On nous mena de là en calèche découverte, par les mêmes belles avenues, à ce qu’ils appellent la Montagne et la hier. C’est une très petite hauteur isolée, peu étendue, qui découvre toute la campagne et cette immense quantité d’avenues et de cloîtres formés par leurs croisières, ce qui fait une vue très agréable. Presque tout le planitre [1] de cette hauteur est occupé par une grande et magnifique pièce d’eau, qui est là une merveille et qui n’auroit rien d’extraordinaire dans tout autre pays. Elle est revêtue de pierre, et porte quelques petits bâtiments en forme de galères et de gondoles sur lesquelles Leurs Majestés Catholiques se promènent quelquefois et prennent aussi le plaisir de la péché, cette pièce étant assez fournie pour cela du poisson qu’on a soin d’y entretenir. D’un autre côté, il y a une vaste ménagerie, mais rustique, où on entretient un haras de chameaux et un autre de buffles.

Des officiers du roi d’Espagne m’amenèrent le matin, comme je sortois, un grand et beau chameau, bien ajusté et bien chargé, qui se mit à genoux devant moi, pour y être déchargé d’une grande quantité de légumes, d’herbages, d’oeufs, et de plusieurs barbeaux, dont quelques-uns avoient trois pieds de long, et tous les autres fort grands et gros, mais que je n’en trouvai pas meilleurs que ceux d’ici, c’est-à-dire mous, fades et pleins d’une infinité de petites arêtes. Je fus traité aux dépens du roi, et je séjournai un jour entier. Ce lieu me parut charmant pour le printemps et délicieux pour l’été ; mais l’été personne n’y demeure, pas même le peuple du village, qui se retire ailleurs et

  1. Terrain plat, plateau (planities).