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Quoique à l’abri de l’inquisition par mon caractère d’ambassadeur, il falloit éviter de donner du scandale dans un pays aussi dominé par la superstition : j’avalai donc le plus doucement que je pus ce pieux conte que ces moines exaltoient et me pressoient d’admirer. Ils me menèrent faire un moment d’adoration au pied du grand autel, puis me firent faire le tour des chapelles de l’église, dont chacune avoit ses miracles particuliers qu’il me fallut essuyer. D’une chapelle à l’autre je les priai de me mener à la salle des conciles, ou à ce qui en restoit, qui étoit uniquement ce qui m’amenoit chez eux. Ils me répondirent : « Tout à l’heure, mais encore cette chapelle-ci, car elle est bien remarquable. » Et il falloit y aller et entendre les miracles auxquels je me refroidissois beaucoup. Enfin, quand tout fut épuisé et qu’il fut question d’aller à la salle des conciles, ils me dirent qu’il n’en restoit rien, et que depuis cinq ou six mois, ils en avoient abattu les restes pour y bâtir leur cuisine. Je fus saisi d’un si violent dépit que j’eus besoin de me faire la dernière violence pour ne les pas frapper de toute ma force. Je leur tournai le dos en leur reprochant cette espèce de sacrilège en termes fort amers. Je gagnai mon carrosse sans vouloir mettre le pied dans leur maison, et y montai sans leur faire la moindre civilité. Voilà ce que deviennent les monuments les plus précieux de l’antiquité, par l’ignorance, l’avarice ou la convenance, sans que la police ni que personne se mette en peine de les revendiquer et de les faire conserver. J’eus à celui-ci un regret extrême.

L’archevêque de Tolède m’avoit engagé à loger chez lui, où j’allai descendre. Céreste, le comte de Lorges, mes enfants, l’abbé de Saint-Simon et son frère, l’abbé de Mathan, et deux officiers principaux de nos régiments étoient avec moi, et furent logés dans l’archevêché ou dans les maisons joignantes. J’y fus reçu par les deux neveux de l’archevêque, et servi par ses officiers qu’il y avoit envoyés exprès. Les