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visite ; que le duc d’Ormond ne se retireroit que quelque temps après ; qu’au palais ni ailleurs, nous ne nous approcherions point l’un de l’autre, et que nous nous saluerions avec la civilité que nous nous devions, mais avec froideur et indifférence marquée. Pour le dire tout de suite, cela s’exécuta de la sorte plusieurs fois chez Hyghens, sans que personne s’en soit jamais aperçu, et notre froideur, si marquée ailleurs, nous donnoit quelquefois envie de rire.

Je trouvai dans le duc d’Ormond toute la grandeur d’âme que nul revers de fortune ne pouvoit altérer, la noblesse et le courage d’un grand seigneur, la fidélité la plus à toute épreuve, et l’attachement le plus entier au roi Jacques et à son parti, malgré les traverses qu’il en avoit essuyées, et auxquelles il étoit tout prêt de s’exposer de nouveau dès qu’il pourroit en espérer le plus léger succès pour les affaires d’un prince si malheureux. D’ailleurs, je trouvai si peu d’esprit et de ressources que j’en fus doublement affligé pour le roi Jacques et son parti, et pour le personnel d’un seigneur si brave, si affectionné et si parfaitement honnête homme. Je ne lui dissimulai [pas] non plus que j’avois fait à Hyghens les chaînes de notre cour et mon impuissance à cet égard, de sorte que nos entretiens, où il me confia aussi ses déplaisirs sur les méprises du roi Jacques et les divisions de son parti, n’aboutirent qu’à des regrets communs et à des espérances bien frêles et bien éloignées.

Le Gendre étoit très bon chirurgien ; le roi l’aimoit et la reine aussi, parce qu’elle n’avoit personne en main pour le remplacer. C’étoit d’ailleurs un drôle hardi, souple, intéressé, qui se faisoit compter, et qui, tant qu’il pouvoit se mêloit de plus que de son métier, mais sagement et sans y paroître.

Ricœur étoit plus en sa place, aimé, estimé, bien, avec le roi et la reine, capable dans son métier, obligeant, bienfaisant, fort françois, qui n’étoit pas sans intérêt et sans songer à ses affaires, mais sans intéresser l’honnête homme,