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la duchesse de Beauvilliers, et M. de Beauvilliers étoit vivant et agissant dans mon cœur dans la dernière vivacité du sentiment le plus tendre et le plus rempli de vénération. Quoique le duc de Saint-Aignan ne m’eût jamais cultivé que suivant la mesure de son besoin, et que sa futilité me fût désagréable, il m’étoit cher, parce qu’il étoit frère du duc de Beauvilliers, et par cette raison, lui et tout ce qui porta son nom, me l’a été toute ma vie, sans nul égard à rien de tout ce qui auroit dû émousser les pointes de ce vif attachement. Je partis donc bien résolu de ne rien oublier pour le succès d’une chose que je désirois assez passionnément pour ne savoir de bonne foi ce que j’aurois choisi, si on m’eût donné en Espagne l’option de cette grandesse ou de la mienne. Les services et la reconnoissance pour de tels morts, et desquels ni des leurs on ne peut rien attendre, sont d’une suavité si douce, et jettent dans l’âme quelque chose de si vif, de si délicieux, de si exquis que nulle sorte de plaisir n’y est comparable et dure toujours, et je l’éprouve encore sur la charge de premier gentilhomme de la chambre que le duc de Mortemart avoit eue du duc de Beauvilliers, sur laquelle j’ai raconté en son temps ce qui se passa. Plein de ce désir, j’en fis la confidence à Grimaldo, à qui, en peu de mots, j’en expliquai la cause pour qu’il ne crût pas cet office que je voulois rendre du nombre de ceux dont on se soucie peu, pourvu qu’on s’en soit acquitté, et qu’il sentit au contraire à quel point le succès m’en tenoit au cœur. Sa réponse m’affligea. Après la préface de politesse et d’amitié, il m’avertit que je trouverois dans Leurs Majestés Catholiques un grand éloignement, parce que, outre que le duc de Saint-Aignan y avoit donné lieu lui-même par force futilités, et petites choses pendant son ambassade à Madrid, où le soin tardif de sa parure avoit souvent impatienté Leurs Majestés Catholiques, en attendant souvent fort longtemps qu’il fût arrivé pour ses audiences, le cardinal Albéroni, qui ne l’aimoit pas, avoit jeté dans leur esprit des