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la composition des médicaments comme le meilleur apothicaire et comme un bon chimiste. Tant de bonnes qualités étoient relevées par une piété sage, éclairée et vraie, qui n’étoit que pour lui, et qui n’incommodoit personne que par le frein qu’elle mettoit à sa langue, plus souvent que n’auroient voulu ceux qui étoient à portée avec lui de l’entretenir librement. Sa conversation m’a été d’un grand secours et m’a instruit de bien des choses. Il aimoit son pays, ses compatriotes avec tendresse, et avoit le plus vif attachement pour le roi Jacques, et pour tout ce qui étoit de son parti. La sagesse le retenoit, à cet égard, dans les plus justes bornes, à l’extérieur ; mais quand il se trouvoit en liberté avec des amis, ce feu de patrie lui échappoit, et bienfaisant pour tout le monde, il ne se possédoit pas d’aise quand il pouvoit rendre quelque service à quelque jacobite. J’eus tout loisir de le connoître pendant six semaines qu’il ne bougea d’auprès de moi.

Sa candeur, sa probité, ses soins me gagnèrent, son esprit me plut, nous prîmes grande amitié l’un pour l’autre. Je dus la sienne, à ce que je crois, au penchant qu’il sonda et qu’il trouva en moi pour le roi Jacques. Je le trouvai si sage et si discret que je ne me cachois point de lui, sans toutefois lui rien dissimuler sur les liens de notre cour à cet égard, et sur mon impuissance. Je lui expliquai même les ordres précis que j’avois là-dessus, et d’éviter le duc d’Ormond qu’il mouroit d’envie que j’entretinsse. J’y consentis, à condition que ce seroit sous le plus grand secret, à notre retour à Madrid ; que le duc d’Ormond se rendroit chez lui, m’y attendroit sans pas un de ses gens dans la maison, se tiendroit dans un cabinet séparé ; qu’averti par Hyghens, j’irais à l’heure marquée lui faire visite, je le trouverois seul, et qu’après que mes gens seroient retirés, je passerois dans le cabinet où seroit le duc d’Ormond ; qu’après la conversation, je le laisserois dans ce cabinet et reviendrois dans la chambre de Hyghens, d’où je m’en irais, comme ayant fini ma