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Je ne laissai pas de l’entreprendre, tant pour ne pas déplaire au cardinal Dubois, en choses qui m’étoient aussi indifférentes, que parce qu’en effet je ne pouvois que tout craindre pour l’union des deux cours d’un homme du caractère de Bournonville, asservi à Popoli, à Miraval, à toute la cabale italienne si ennemie de la France et de l’union, conduit par le duc de Noailles de même caractère que lui, et à qui tout seroit bon pour rentrer en danse ; enfin d’un homme haï et craint par le cardinal Dubois qui ne pourroit traiter qu’avec lui. Je représentai donc ce dernier inconvénient à Grimaldo. Je lui demandai quel choix on pouvoit faire entre se servir d’un canal qui devoit être plus que suspect en Espagne à tout ce qui en aimoit les vrais intérêts, la grandeur et l’union avec la France, odieux à celui avec qui il auroit uniquement à traiter, et qui étoit le maître de toutes les affaires, ou faire une peine à un seigneur à qui on pouvoit trouver d’autres emplois capables de le dédommager de celui où il étoit personnellement impossible qu’il pût réussir. Je lui parlois plus librement par l’amitié et la confiance qui s’étoit établie entre lui et moi, et plus hardiment par la connoissance que j’avois des cabales de cette cour, et que Grimaldo n’ignoroit pas combien Bournonville étoit engagé avec ses ennemis. Je lui expliquai la situation où le cardinal Dubois étoit avec le duc de Noailles, et les intimes et anciennes liaisons de parenté, d’amitié, d’homogénéité qui étoient entre les ducs de Noailles et de Bournonville, et ce que la maréchale de Noailles étoit et dans sa famille et dans le monde ; en un mot, que s’il vouloit humeurs, caprices, brouilleries, dégoûts réciproques entre les deux cours, leur désunion certaine, il seroit servi par un tel ambassadeur, avec lequel tout cela seroit infaillible, tandis que les deux cours ne recevroient que satisfaction réciproque, intelligence, union de plus en plus resserrée dans le désir qu’elles en avoient l’une et l’autre en envoyant ambassadeur quel que ce fût, pourvu que ce fût un homme d’honneur, droit, de nulle cabale,