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fini son temps ; et le cardinal Dubois qui ne vouloit point absolument du duc de Bournonville, m’avoit fort recommandé de n’oublier rien pour l’y traverser. J’eus si peu de temps entre mon arrivée à Madrid et le départ pour Lerma, et ce temps si occupé d’affaires, de fêtes, de cérémonial, de fonctions et de visites infinies que je n’eus pas celui d’entamer rien sur cette ambassade, dont je comptai avoir tout loisir à Lerma. Mais en arrivant au quartier que je devois occuper, je tombai malade le jour même, et la petite vérole, qui se déclara, me mit pour quarante jours hors de moyen de sortir de mon village. Pendant ce temps-là le duc de Bournonville bien averti de Paris, et qui me craignoit fort pour son ambassade, intrigua si bien, qu’il se la fit donner et déclarer. Je reçus à Villahalmanzo une lettre du cardinal Dubois, dès qu’il eut appris cette nouvelle, pleine de regrets sur la lacune de ma petite vérole et de ma séparation de la cour, qui eût, à ce qu’il me disoit, paré ce choix. De là, s’étendant sur le caractère du duc de Bournonville, sur ses liaisons intimes avec le duc de Noailles, et c’étoit là le principal point du cardinal, car la maréchale de Noailles et lui étoient enfants des deux frères, le cardinal se lamentoit des inconvénients qui résulteroient sûrement de cette ambassade, et pour les cabales de la cour, et contre l’union si nécessaire des deux couronnes, que le duc de Bournonville et le duc de Noailles sacrifioient à leurs vues et à leurs intérêts particuliers. Enfin il m’avançoit que l’usage constant entre les grandes couronnes étoit de faire pressentir celle où il falloit un ambassadeur sur la personne qu’on pensoit à y envoyer, afin de ne lui pas donner un ministre désagréable ; à plus forte raison l’Espagne devoit ce ménagement à la France, dans la position actuelle où les deux couronnes se trouvoient si heureusement ensemble. Il m’exhortoit à faire valoir cette raison et de tâcher à faire révoquer une disposition si peu propre à entretenir l’amitié et l’union si désirable entre les deux branches royales et entre les deux cours. Il étoit vrai