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plusieurs universités et en celle de Montpellier, d’où il étoit passé en Espagne médecin des armées. On y fut si content de sa conduite et de sa capacité que le roi d’Espagne le fit son premier médecin, et avoit en lui beaucoup de confiance et plus que la reine n’auroit voulu, quoiqu’elle le traitât fort bien. Mais elle ne souffroit pas volontiers d’autres gens que donnés de sa main pour cet intérieur si assidu et si intime, et auroit désiré cette place à son premier médecin Servi, qui étoit de son pays, et de son choix, et qui lui étoit entièrement livré. Elle en vint à bout, en effet, quelques années après mon retour que Hyghens mourut.

Cet Irlandois, qui parloit parfaitement françois, étoit un excellent médecin qui, sans entêtement ni attachement de médecin, ne vouloit que guérir son malade avec une grande application. J’en fis une heureuse expérience à ma petite vérole, dont les détails, qui pourroient instruire les médecins de bonne foi, seroient ici étrangers. Son caractère ouvert mais discret, doux mais ferme, montroit sans la plus légère affectation une belle âme, toujours occupée du bien, sans nul autre intérêt quelconque, quoiqu’il aimât sa famille qui étoit assez nombreuse, et de plus détaché de toute ambition, voyant de très près les intrigues, sans y vouloir jamais entrer, disoit très nettement le vrai au roi sur sa santé, et le lui disant de même et à la reine, quand l’un ou l’autre l’en mettoient à portée sur d’autres matières, mais sans s’avancer jamais sur aucune, et parlant toujours avec grande discrétion et grand éloignement de nuire à personne. Aussi était-il fort aimé et considéré. Il avoit l’esprit juste, agréable, modeste, avoit beaucoup de belles-lettres et savoit bien l’histoire, surtout il connoissoit bien les maîtres et la cour, et passoit pour un grand et sage médecin, et pour le seul même en Espagne qui méritât le nom de médecin. Il possédoit très bien la chirurgie et avoit souvent fait d’heureuses opérations, bon botaniste, bon artiste, connoissant bien les simples et les remèdes dont il savoit faire usage, et