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et plus que tout, il me vanta son attachement de tous les temps pour la France, qui l’avoit exposé à tous les mauvais traitements de l’empereur. Je lui demandai en bon ignorant comment il s’étoit comporté dans l’affaire du double mariage. Chavigny me répondit sans hésiter que tout avoit passé par lui, qu’il y avoit fait merveilles, qu’il y avoit eu la principale part. Je pris cela pour fort bon, et tout comme il me le donna, mais il ne se doutoit pas que j’en savois là-dessus autant ou plus que lui.

Lorsque M. le duc d’Orléans me confia pour la première fois les mariages, avant même que l’affaire fût entièrement achevée, il me dit en même temps que tout se faisoit à l’insu du duc de Parme ; qu’un secret profond lui cacheroit cette affaire par les deux cours, jusqu’à ce qu’elle fût entièrement parachevée ; que M. de Parme étoit le promoteur et le principal instrument des mariages des infants d’Espagne avec les archiduchesses dont il avoit toute la négociation. Lorsque les mariages furent faits, M. le duc d’Orléans me dit qu’ils étoient tombés sur la tête du duc de Parme comme une bombe ; qu’il en étoit au désespoir. Et quand après le cardinal Dubois et, moi fûmes, comme je l’ai raconté en son lieu, replâtrés, et que nous fûmes à portée de parler d’affaires et de mon ambassade prochaine, je lui parlai du duc de Parme, sans lui laisser rien sentir de ce que M. le duc d’Orléans m’en avoit dit, et il m’en rapporta les mêmes choses précisément que j’en avois apprises du régent. Ce souvenir, que je ne pouvois avoir que très présent en Espagne, me confirma de plus en plus dans l’opinion que j’avois de Chavigny, et de me bien garder de lui en laisser flairer l’odeur la plus légère. De là, il me battit la campagne avec force bourre, à travers laquelle il s’étendit, mais fort en général, sur la nécessité de l’établissement de l’infant don Carlos en Italie, sur les bonnes choses qu’il y auroit à faire en cette partie de l’Europe, sur le respect où le double mariage y alloit retenir l’empereur à l’égard des deux couronnes,