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demander le succès. Avant que de le satisfaire, je voulus lui déduire toutes mes raisons pour tâcher de le persuader au moins sur une chose accordée, et je finis par lui dire qu’elle l’étoit, et lui témoigner combien M. le duc d’Orléans y seroit sensible, et à quel point j’étois moi-même touché de la complaisance de Leurs Majestés. Grimaldo, en habile homme, peut-être y entra-t-il aussi de l’amitié pour moi, prit la chose de fort bonne grâce. Il me dit que ce qui abondoit ne nuisoit point ; mais que la cour seroit bien surprise. Je l’avertis que cela ne se sauroit qu’au bal, et après un peu d’entretien, je le quittai. Je voulois éviter l’improbation des Espagnols, et je crus ne pouvoir mieux m’y prendre qu’en mettant de mon côté le marquis de Villena, Espagnol au dernier point, et qui, par son âge, sa charge de majordome-major, et plus encore par sa considération personnelle et le respect universel qu’on lui portoit, arrêteroit tout par son approbation, si je pouvois la tirer de lui.

Je l’avois toujours singulièrement cultivé dans le peu de temps que j’avois eu à le pouvoir faire, et il y avoit continuellement répondu avec toute sorte d’attention, même d’amitié, jusqu’à m’être venu voir à Villahalmanzo, avant que j’eusse pu aller à Lerma. J’allai donc chez lui au sortir de chez Grimaldo, et lui dis que je venois lui faire une confidence, bien fâché que les occupations de ces deux journées ne m’eussent pas permis de le consulter auparavant, comme je le voulois. De là je lui expliquai toutes mes raisons pour le coucher public, et ma peine de ce qui y pouvoit blesser les Espagnols. Je m’étendis flatteusement sur ce dernier point, et j’ajoutai qu’après le combat qui s’étoit passé en moi-même entre cette considération et l’importance de donner le dernier degré de solidité au mariage, j’avois estimé que mon devoir et l’intérêt des deux couronnes devoit prévaloir. Il me laissa tout exposer, puis me répondit que ces raisons étoient, en effet, très fortes ; que les usages des différents pays n’étoient pas des lois qui ne dussent pas