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un tabouret pour le nonce, un pour moi, un autre pour Maulevrier, et un quatrième que Sa Majesté avoit expressément commandé pour mon fils aîné qui relevoit d’une seconde maladie qu’il avoit eue dans mon quartier pendant ma petite vérole. Je fus fort touché d’une attention du roi si pleine de bonté ; mais j’en sentis en même temps toute la distinction de mon fils, ni duc, ni grand, assis où nul duc, ni grand ne s’assied point, que les trois par charges, que j’ai expliqués ailleurs, et traité comme les ambassadeurs. Je compris à l’instant combien cet honneur singulier pourroit faire de peine aux grands et blesser même les Espagnols. Je répondis donc avec tous les respects et les remerciements possibles, que je suppliois le roi de me permettre de renvoyer mon fils aîné avant le bal, parce que sa santé étoit encore si foible qu’il avoit besoin de ce repos, après la fatigue de toute cette journée, et j’évitai de la sorte -un honneur qui auroit pu `donner lieu à du mécontentement. J’achevai ensuite de monter l’escalier et d’aller chez le marquis de Grimaldo.

Mes remerciements faits, je renvoyai mes enfants, puis je dis à Grimaldo que n’ayant pas eu le temps de le voir depuis mon audience de la veille, je venois l’informer de ce qui s’y étoit passé, quoiqu’il le sût sans doute, si l’embarras de ces journées si remplies lui avoit laissé le loisir de voir Leurs Majestés. Je lui déduisis ce qui avoit regardé l’empereur, la Toison et le duc de Lorraine ; puis j’ajoutai que mes réflexions sur l’importance du coucher public m’affectant toujours, nonobstant ce qu’il m’avoit répondu là-dessus, je n’avois pu me tenir d’en parler au roi et à la reine, et je lui dis toutes les mêmes choses que je leur avois représentées. Soit que ce ministre fit semblant d’ignorer ce qu’il savoit, soit qu’en effet l’embarras de ces journées si pleines eût empêché son travail avec Leurs Majestés, je vis se peindre une curiosité extrême dans ses yeux et dans sa physionomie ; et [lui] m’interrompre plusieurs fois pour m’en