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la puissance, telle que la même union des deux branches de la maison d’Autriche l’a opérée en sa faveur, abandonneroit enfin le dessein d’y attenter de nouveau, le regardant comme impossible, après avoir vu l’Espagne si attachée à ses usages, y contrevenir pour la première fois, uniquement pour donner à ce mariage le dernier degré d’indissolubilité, selon l’opinion de toutes les nations, encore que, selon la sienne, il ne lui en manquât aucune sans cette formalité.

Ces raisons emportèrent Leurs Majestés Catholiques ; elles se regardèrent encore, se dirent quelques mots bas, puis le roi me dit : « Mais si nous consentions à ce que vous proposez, comment entendriez-vous faire ? » Je répondis que rien n’étoit plus aisé et plus simple ; que Sa Majesté en avoit vu le modèle au mariage de Mgr le duc de Bourgogne ; mais qu’il étoit inutile de laisser entrevoir la résolution qui en seroit prise avant le temps de l’exécution, pour éviter les discours de gens ennemis de toute nouveauté, et qui n’en verroient pas d’abord les raisons si solides et si importantes ; que supposé que Leurs Majestés voulussent bien embrasser un parti qui paraissoit si nécessaire, il suffiroit d’en faire doucement répandre la résolution dans le grand bal qui devoit précéder le coucher, où le spectacle d’un lieu si public arrêteroit les raisonnements, et où la chose seroit sue à temps de retenir les spectateurs après le bal, par le désir de faire leur cour, et par la curiosité d’être témoins de chose pour eux si nouvelle ; que pour l’exécution, Leurs Majestés seules, avec le pur nécessaire, assisteroient au déshabiller, les verroient mettre au lit, feroient placer aux deux côtés du chevet le duc de Popoli près du prince, la duchesse de Monteillano près de la princesse, et tous les rideaux entièrement ouverts des trois côtés du lit ; feroient ouvrir les deux battants de la porte, et entrer toute la cour, et la foule s’approcher du lit, laisser bien remplir la chambre de tout ce qu’elle pourroit contenir ; avoir la patience