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Puisque les Rohan se trouvent sous ma plume, encore un petit mot sur le cardinal, frère du prince de Rohan. Lui et son frère étoient les gens du monde avec qui, de tout temps, j’avois eu le moins de commerce. Sans division marquée, tout m’en avoit toujours éloigné. Nos sociétés avoient toujours été très différentes du temps du feu roi, et toujours depuis, jusque-là même que le hasard ne nous faisoit point nous rencontrer. J’étois de la sorte avec eux lorsque le cardinal s’en alla à Rome. Il n’y fut pas plutôt arrivé que les lettres que je recevois toutes les semaines, comme je l’ai dit ailleurs, du cardinal Gualterio, ne furent remplies que des éloges que le cardinal de Rohan lui faisoit de moi, et du désir extrême qu’il avoit de pouvoir mériter quelque part en mon amitié.

On ne peut être plus étonné que je le fus d’avances si fortes, si continuelles, et auxquelles rien n’avoit donné lieu. Je connoissois assez le cardinal de Rohan pour être bien sûr que de pareilles démarches ne pouvoient être fondées que sur des vues qu’il pouvoit craindre que je ne traversasse ; et par cette raison, mes réponses polies et froides ne furent pas faites de manière à entretenir ces compliments ; mais ils persévérèrent toutes les semaines, s’échauffèrent de plus en plus, jusque-là que Gualterio s’entremit pour m’engager d’amitié avec le cardinal de Rohan. Gualterio étoit trop sage et trop mesuré pour se porter à cela de lui-même, et par les compliments directs qu’il ajoutoit du cardinal de Rohan pour moi, qui l’en chargeoit en même temps, je ne pus pas douter que ce ne fût lui qui faisoit agir notre ami commun. Plus les efforts redoubloient à découvert, plus ils m’étoient suspects. Mais, venus jusqu’à ce point, ils m’embarrassoient, parce que je ne voulois point de liaisons, encore moins d’engagements d’amitié avec un homme dont les intérêts, les engagements, la conduite, se trouvoient en opposition si entière avec les miens, et qu’il n’étoit pas possible de ne pas répondre à tant d’empressement d’une façon convenable