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J’ai réservé un mot à dire sur les autres titres, ou pour mieux dire qualités, qu’ils prirent et qui n’avoient point de difficulté. Les grands espagnols ne prennent jamais dans leurs titres la qualité de grands d’Espagne. S’il s’en trouve quelques-uns, ce n’est que bien peu, et depuis Philippe V, à l’exemple des François. La raison de ne la point prendre n’est qu’une rodomontade espagnole. Ils prétendent que leurs noms doivent être si connus que leur grandesse ne peut manquer de l’être en même temps qu’on entend leurs noms. Mais le fond est le même qui leur fait cacher leur ancienneté avec tant de soin. En prenant la qualité de grands d’Espagne, les actes d’eux ou de leurs pères feroient foi du temps qu’ils auroient commencé à la prendre, et mettroit en évidence ce qu’ils veulent soustraire à la connoissance, et c’est la vraie raison, cachée sous la rodomontade, qui leur fait omettre la qualité qui fait leur essence et leur rang, tandis qu’ils n’omettent aucune de leurs charges, de leurs emplois, même de leurs commanderies dans les ordres de Saint-Jacques de Calatrava, etc., qui sont communes à la plus petite noblesse et à leurs propres domestiques actuels avec eux. Le prince de Rohan, si désireux d’être duc et pair, malgré sa princerie, et dont l’habile mère disoit qu’il n’y avoit de solide que cette dignité, qui ne se pouvoit ôter comme les honneurs de prince, qui dépendoient toujours d’un trait de plume, et qu’elle ne seroit point contente qu’elle n’en vit son fils revêtu ; le prince de Rohan, dis-je, ravi d’y être enfin parvenu, mais après la mort de sa mère, par la voie qu’on a vue ici alors, voulut, sûr du vrai et du solide, y faire surnager sa princerie, comme je l’ai expliqué alors. Voyant donc Santa-Cruz ne prendre point la qualité de grand d’Espagne, et prendre les autres qu’il avoit, [il] n’eut pas de peine à s’y conformer et à saisir ainsi un air de négligence pour une chose qu’il avoit si fortement passionnée, et qu’il étoit si aise d’avoir mise dans sa maison et dans sa branche.