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aveuglément à la conduite et à l’amitié de Grimaldo, dont on verra bientôt le plein succès.

En racontant ici la façon très singulière par laquelle mon affaire réussit, je suis bien éloigné d’en soustraire à M. le duc d’Orléans toute la reconnoissance. S’il ne m’avoit pas confié le double mariage, à l’insu de Dubois et malgré le secret qu’il lui avoit demandé précisément pour moi, et cela dès qu’ils furent conclus, je n’aurois pas été à portée de lui demander l’ambassade. Je la lui demandai sur-le-champ, en lui en déclarant le seul but, qui étoit la grandesse pour mon second fils, et sur-le-champ il me l’accorda, et me l’accorda pour ce but, et pour m’aider de sa recommandation à y parvenir, et sous le dernier secret, par rapport au dépit qu’en auroit Dubois, et se donner du temps pour se tourner avec lui et lui faire avaler la pilule. Si je n’avois pas eu l’ambassade de la sorte, elle m’auroit sûrement échappé, et alors tomboit de soi-même toute idée de grandesse, dont il n’y auroit plus eu, ni occasion, ni raison, ni moyen. L’amitié et la confiance de ce prince prévalut donc à l’ensorcellement que son misérable précepteur avoit jeté sur lui ; et s’il céda depuis aux fourbes, aux manèges, aux folies que Dubois employa dans la suite de cette ambassade pour me perdre et me ruiner, et pour me faire manquer le seul objet qui m’avoit fait la désirer, il ne s’en faut prendre qu’à sa scélératesse, et à la déplorable faiblesse de M. le duc d’Orléans, qui m’ont causé bien de fâcheux embarras, et m’ont fait bien du mal, mais qui ont fait bien pis à l’État et au prince lui-même. C’est par cette triste, mais trop vraie réflexion que je finirai cette année 1721.