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ne s’avançoit, et qui ne présentoit qu’une sorte de manière d’acquit, qui ne se pouvoit refuser, mais dont le succès étoit fort indifférent. Il est aisé de comprendre que ces lettres me déplurent beaucoup. Quoique j’y eusse prévu toute la malice du cardinal Dubois, je la trouvai au delà et bien plus à découvert que je ne l’avois imaginé.

Telles qu’elles fussent, si fallut-il s’en servir. L’abbé de Saint-Simon écrivit à Grimaldo et à Sartine, et les envoya à ce dernier pour remettre sa lettre et celles de la cour à Grimaldo, car je n’osois encore écrire moi-même dans le ménagement qu’il falloit garder pour le mauvais air. Sartine, à qui je n’avois pas fait confidence, encore moins à Grimaldo, de la faiblesse à laquelle je m’attendois de ces recommandations, tombèrent dans la dernière surprise à leur lecture. Ils raisonnèrent ensemble, ils s’indignèrent, ils cherchèrent des biais pour fortifier ce qui en avoit tant de besoin ; mais ces biais ne se trouvant point, ils se consultèrent, et Grimaldo prit un parti hardi qui m’étonna au dernier point, et qui aussi me mit fort en peine. Il conclut que ces lettres me nuiroient sûrement plus qu’elles ne me serviroient ; qu’il falloit les supprimer, n’en jamais parler au roi d’Espagne, le confirmer dans la pensée qu’il feroit, en m’accordant ces grâces, un plaisir d’autant plus grand à M. le duc d’Orléans qu’il voyoit jusqu’où alloit sa retenue de ne lui en point parler, et la mienne de ne point les lui faire demander par Son Altesse Royale, quoiqu’il y eût tout lieu de s’y attendre ; tirer de là toute la force qu’auroient eue les lettres, si leur style en avoit eu ; et qu’avec ce qu’il sauroit y mettre du sien, il me répondoit de la grandesse et de la Toison, sans faire mention aucune des lettres de M. le duc d’Orléans au roi d’Espagne, et du cardinal Dubois à lui. Sartine, par son ordre, le fit savoir à l’abbé de Saint-Simon, qui me le rendit ; et après en avoir raisonné ensemble avec Hyghens, qui connoissoit le terrain aussi bien qu’eux, et qui s’étoit vraiment livré à moi, je m’abandonnai