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qu’il partit pour Lerma, et fis pressentir en même temps Grimaldo sur la Toison par Sartine, et l’un et l’autre avec succès.

Je regardois l’instant de la célébration du mariage comme l’époque d’obtenir ce que je désirois, et je considérois que, étant passée sans avoir obtenu, tout se refroidiroit et deviendroit incertain et fort désagréable. Je n’avois rien oublié dans ce court et premier séjour à Madrid pour y plaire à tout le monde, et j’ose dire que j’y avois d’autant mieux réussi, que j’avois tâché de donner du poids et du mérite ma politesse, en gardant tout le milieu possible aux degrés et aux mesures qu’elle devoit avoir, à l’égard de chacun, sans prostitution et sans avarice, et c’est ce qui me fit hâter de connoître tout ce que je pus de la naissance, des dignités, des emplois, des alliances, de la réputation, pour y proportionner ma façon de me conduire avec tant de diverses personnes.

Mais il falloit le véhicule de la demande de M. le duc d’Orléans et des lettres du cardinal Dubois. Je ne doutois pas de la volonté du régent, mais beaucoup de celle de son ministre, et on a vu avec combien de raison. Ces lettres, qui devoient au plus tard arriver à Madrid en même temps que moi, se faisoient attendre inutilement d’ordinaire en ordinaire. Ce qui redoubloit mon impatience étoit que je les lisois d’avance, et que je voulois avoir le temps de réfléchir et de me tourner pour en tirer, malgré elles, tout le secours que je pourrois. Je comptois parfaitement sur toute l’écorce d’empressement du cardinal Dubois, qui, avec sa fausseté et sa mauvaise volonté, n’enfanteroit que des demi-choses, souvent plus nuisibles que rien du tout, et qui, ne pouvant empêcher M. le duc d’Orléans d’écrire au roi d’Espagne, se chargeroit de faire la lettre, et la feroit au plus foible et au plus mal, sans que M. le duc d’Orléans, livré à lui, sans appui contre lui, moi absent, osât y rien changer. Cette opinion que j’eus toujours de ces lettres fut ce qui me porta