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compter, mais si plein d’esprit, de nerf, d’ambition et de ressources qu’il n’étoit pas à mépriser. Ainsi par ces raisons, je fus conseillé d’envoyer lui faire compliment par un gentilhomme comme à un seigneur que j’avois vu à notre cour autrefois. Dès le lendemain, il m’en envoya un me remercier et s’excuser sur son indisposition de n’être pas encore venu me rendre ses devoirs, dont il s’acquitteroit incessamment. En effet, il me vint voir deux jours après, et me trouva. Je la lui rendis promptement, et le trouvai seul. Tout se passa en compliments et en discours de philosophe de sa part, de retraite, etc. Je n’en voulois pas davantage ; il s’en retourna tôt après à sa commanderie sans avoir réitéré nos visites. Je découvris sans peine un homme piqué, frétillant, désolé de son exil, abattu de santé, et cachant ce qui s’en montroit, malgré lui, sous des propos de la satisfaction qui se trouve dans le repos et dans la jouissance de soi-même. Son exil s’est adouci depuis, mais la disgrâce a duré jusqu’à sa mort, qui n’est arrivée que plusieurs années depuis mon retour.

Le duc de Noailles et lui ont toujours été en commerce de lettres, et le roi et la reine d’Espagne le savoient et le trouvoient très mauvais, et toutefois les laissoient faire avec une sorte de mépris pour tous les deux. Le comte d’Aguilar étoit gendre du septième duc de Monteléon Pignatelli, qui, peu après l’arrivée de Philippe V en Espagne, s’étoit retiré à Naples, où il avoit pris le parti de la maison d’Autriche, à laquelle il étoit demeuré attaché le reste de sa vie.

La maison de Manrique de Lara ne cède à aucune autre en Espagne en ancienneté et en grandeur d’origine, en alliances, possessions, en dignités et en emplois ; elle descend de mâle en mâle des comtes souverains de Castille, qui sortoient de même des rois des Asturies et de Galice. Ils ont donné des reines à la Navarre, à Léon et à la Castille, et ils en ont épousé des filles. Ils ont été vicomtes de Narbonne, de la branche desquels est sortie celle de ces derniers comtes