Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/388

Cette page n’a pas encore été corrigée

on le mettoit sur ce qu’il avoit vu et très bien vu en pays divers et en affaires, très bien avec tout ce qu’il y avoit de meilleur en Espagne, ami le plus intime de Grimaldo qu’il n’avoit point abandonné dans sa disgrâce du temps d’Albéroni, et Grimaldo ne l’avoit jamais oublié ; quoiqu’il eût beaucoup de dignité, il ne laissoit pas d’être souple avec mesure et justesse, et fort propre à la cour qu’il connoissoit extrêmement bien. Il avoit un talent si particulier pour les langues, qu’il parloit latin, françois, espagnol, italien, anglois, écossois, irlandois, allemand et russien comme un naturel du pays, sans jamais la moindre confusion de langues. Avec cela il aimoit passionnément le plaisir ; et la vie compassée, uniforme, languissante, triste de l’Espagne lui étoit insupportable. Il étoit fait pour la société libre, variée, agréable, et c’étoit ce qu’on n’y trouvoit pas.

Quelque temps après mon départ, il obtint l’ambassade de Russie, avec une commission à exécuter à Vienne. Il réussit en l’une et en l’autre, tellement que la tzarine, sans l’en avertir, lui jeta un jour le collier de son ordre au cou. Il repassa à Paris, où il se dédommagea tant qu’il put de l’ennui de l’Espagne, et où nous nous revîmes avec grand plaisir. Il me voulut même bien donner quelques morceaux fort curieux qu’il avoit faits sur l’état de la cour et du gouvernement de Russie. Il demeura à Paris tant qu’il put, et bien moins qu’il n’eût voulu, et pour éloigner son retour en Espagne, il obtint permission d’aller voir le roi d’Angleterre à Rome ; de là il alla à Naples, où il fit si bien, qu’il demeura si longtemps que, s’y abandonnant aux plaisirs de la société, et peu à peu à l’amour d’une grande dame, il en mourut de phtisie, laissant plusieurs enfants. C’est un homme que je regretterai toujours. Son fils aîné a recueilli sa grandesse, est grandement établi, mais ne lui ressemble pas.

Medina-Coeli, Figuerroa y La Cerda. La grandeur de l’origine de cette grandesse, et la singularité de sa première