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mis en aucune sorte de dépense, vint de bonne heure chez moi le matin, où quelque temps après arriva don Gaspard Giron et un carrosse magnifique du roi, à huit chevaux gris pommelés admirables, dans lequel, à l’heure marquée, nous montâmes tous trois. Deux garçons d’attelage tenoient chaque quatrième cheval à gauche par une longe. Il n’y avoit point de postillon, et le cocher du roi nous mena son chapeau sous le bras. Cinq carrosses à moi, remplis de tout ce que j’avois amené, suivoient, et une vingtaine d’autres de seigneurs de la cour, qu’ils avoient envoyés pour me faire honneur par les soins du duc de Liria et de Sartine, avec des gentilshommes à eux dedans. Le carrosse du roi étoit environné de ma nombreuse livrée à pied et des officiers de ma maison, c’est-à-dire valets de chambre, sommeliers, etc. Les gentilshommes et les secrétaires étoient dans mes derniers carrosses. Ceux de Maulevrier (et il n’en avoit que deux), remplis de Robin et de son secrétaire, suivoient le dernier des miens. Arrivant à la place du palais, je me crus aux Tuileries. Les régiments des gardes espagnoles, vêtus, officiers et soldats, comme le régiment des gardes françaises, et le régiment des gardes wallonnes, vêtus, officiers et soldats, comme le régiment des gardes suisses, étoient sous les armes, les drapeaux voltigeants, les tambours rappelant et les officiers saluant de l’esponton [1]. En chemin les rues étoient pleines de peuple, les boutiques de marchands et d’artisans, toutes les fenêtres parées et remplies de monde. La joie éclatoit sur tous les visages, et nous n’entendions que bénédictions.

Sortant de carrosse, nous trouvâmes le duc de Liria, le

  1. L’esponton était une espèce de demi-pique que portaient les officiers d’infanterie et de dragons sous les règnes de Louis XIV et de Louis XV. La longueur de cette arme fut fixée à sept pieds et demi par une ordonnance du 20 mai 1690. Le salut de l’esponton demandait une certaine adresse dans le maniement de cette arme. Mme de Sévigné, parlant d’une revue de la maison du roi, à laquelle elle avait assisté, dit : « Nous avons eu le salut de l’esponton. »