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qui lui étoient particulièrement attachés et qui auroient pu se flatter le plus d’un événement sinistre aient tous gardé toute la même conduite que lui, sans qu’aucun d’eux, jusqu’aux valets, et c’est une merveille, aient laissé échapper de quoi faire naître le plus léger soupçon.

Trudaine, conseiller d’État, à qui M. le duc d’Orléans avoit fort mal à propos ôté la prévôté des marchands, dont il a été parlé ici en son lieu, mourut à soixante-deux ans. Ce n’étoit pas un aigle, mais un très honnête homme, intègre, désintéressé, vertueux.

Le duc de Bouillon mourut en même temps, à quatre-vingt-deux ans, s’étant démis, depuis la régence, de sa charge de grand chambellan et de son gouvernement d’Auvergne en faveur du duc d’Albret, son fils aîné, qui prit le nom de duc de Bouillon, à qui le feu roi ne les auroit jamais laissé passer, et qui, comme on l’a vu ici en son temps, avoit eu de grands procès contre son père et avoit été fort mal avec lui. Le père étoit fort bon homme, prince tant qu’il pouvoit, du reste fort valet, mais du roi seulement, et d’une assiduité qui, jointe avec un esprit extrêmement court, lui avoit entièrement gagné le roi, quoique des aventures de sa femme et du cardinal son frère l’eussent fait éloigner plus d’une fois de la cour. On a vu ici en son lieu que beaucoup d’art, quelque chose de pis de la part du procureur général d’Aguesseau, depuis chancelier, l’habitude et l’affection du roi, sauvèrent sa prétendue principauté, à l’évasion du cardinal de Bouillon du royaume.

Thury mourut aussi à soixante-deux ans, sans avoir été marié, ayant donné ou plutôt trafiqué tout ce qu’il avoit avec le maréchal d’Harcourt. Ils étoient fils des deux frères, mais totalement différents. Thury étoit noir, méchant, cynique, atrabilaire, avec beaucoup d’esprit insolent et dangereux ; et quoique avec méchante réputation à la guerre et dans le monde, reçu en de bonnes compagnies. Il est pourtant vrai qu’un soufflet que le duc d’Elboeuf lui appliqua à