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je lui liais les bras par ce raccommodement, quitte à marcher avec les précautions raisonnables, et à voir de jour à autre comment il se conduiroit avec moi, parti sage en tous ses points, dont je ne pourrois jamais me faire de reproche dans ma position présente, et bien différent d’une brouillerie ouverte dans la situation où je me trouvois.

Ces mêmes raisons m’avoient déjà sauté aux yeux, de sorte que je renvoyai Belle-Ile content de sa négociation, qui, deux jours après, me vint dire merveilles de la part de Dubois. Là-dessus sa calotte arriva. Je fus le voir comme je l’ai dit, et le surlendemain il vint chez moi. Sa barrette arrivée, il ne tarda pas à y revenir encore en habit long et rouge. On peut juger quelle put être notre confiance réciproque : aussi n’eûmes-nous pas sitôt entamé les propos de l’ambassade, et ils le furent dès lors, que je vis clairement son venin et sa duplicité. Aussi me crus je dispensé à son égard de tout ce que la prudence me pouvoit permettre. Pour ne point interrompre ce qui se passa sur mon ambassade, avant mon départ, je le remettrai tout de suite au temps de mon départ même, quoique les propos et la tyrannie en aient commencé dès ce temps-ci, presque aussitôt que nous nous fûmes vus. Passons à un événement qui fut court, mais qui effraya beaucoup.

Le dernier juillet, le roi, jusqu’alors dans une santé parfaite, se réveilla avec mal à la tête et à la gorge ; un frisson survint, et sur l’après-midi, le mal de tête et de gorge ayant augmenté, il se mit au lit. J’allai le lendemain, sur le midi, savoir de ses nouvelles. Je trouvai que la nuit avoit été mauvaise et qu’il y avoit depuis deux heures un redoublement assez fort. Je vis partout une grande consternation. J’avois les grandes entrées, ainsi j’entrai dans sa chambre. Je la trouvai fort vide, M. le duc d’Orléans, assis au coin de la cheminée, fort esseulé et fort triste. Je m’approchai de lui un moment, puis j’allai au lit du roi. Dans ce moment Boulduc, un de ses apothicaires, lui présentoit quelque chose à