Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/180

Cette page n’a pas encore été corrigée

avec le bonnet, le nouveau cardinal le reçut des mains du roi, et fit ses visites au sang royal avec les cérémonies accoutumées. Il avoit eu près de deux mois à s’y préparer, et il faut avouer qu’il en profita bien. Il avoit un compliment à faire à Madame et à M. [le duc] et à Mme la duchesse d’Orléans, dans l’audience de cérémonie qu’il en eut ; car pour les visites aux princes et princesses du sang, ce ne sont que visites et compliments en cérémonie, mais ce ne sont pas des audiences avec un compliment en forme qui est une petite harangue. Il devoit bien s’attendre à ce que Madame souffriroit de le recevoir en cérémonie, de le saluer et de lui donner un tabouret, et Mme la duchesse d’Orléans, de lui donner un siège à dos ; après l’avoir vu si longuement si petit compagnon, et Madame qui ne lui avoit jamais pardonné le mariage de son fils, qui l’avoit traité toujours avec le plus grand mépris, parlé de lui sans mesure, et demandé comme on l’a vu pour toute grâce à M. le duc d’Orléans, le jour de sa régence de n’employer à rien ce petit fripon-là qui le vendroit et le déshonoreroit. Le cardinal Dubois se composa, parut devant Madame pénétré de respect et d’embarras. Il se prosterna comme elle s’avança pour le saluer, s’assit au milieu du cercle, se couvrit un instant de son bonnet rouge qu’il ôta aussitôt, et fit son compliment. Il commença par sa propre surprise de se trouver en cet état devant Madame, parla de la bassesse de sa naissance et de ses premiers emplois, les employa avec beaucoup d’esprit et en termes fort choisis à relever d’autant plus la bonté, le cœur et la puissance de M. le duc d’Orléans, qui de si bas l’avoit élevé où il se voyoit, se fit une leçon de n’oublier jamais ce qu’il avoit été, pour sentir toujours plus vivement ce qu’il devoit à ce prince, et employer tout ce qui pouvoit être en lui, sans se louer ni s’applaudir le moins du monde, pour le servir, car la modestie surnagea toujours dans ses discours d’audiences, donna un encens délicat à Madame, enfin se confondit en respects les plus profonds et en reconnoissance. Il