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autre considération. Je voulois donc qu’ils parlassent tous trois, et n’en être pas avec eux ; mais Torcy s’opiniâtra à contester que tout échoueroit sans moi, parce que M. le duc d’Orléans regarderoit cet effort comme venant de mains ennemies, et Torcy entraîné par elles, bien de tout temps avec M. le Duc et avec le maréchal de Villeroy, ce qui n’arriveroit pas s’il me voyoit avec eux, parce qu’il ne présumeroit jamais que j’eusse agi de concert avec eux à mauvaise intention ni par entraînement, et qu’il ne pourroit méconnoître ce que je lui avois dit souvent tête à tête, et récemment cette dernière fois si forte que j’ai rapportée ; qu’il ne pourroit dire méconnoître ces mêmes choses dans ce que nous lui dirions ensemble, et qu’il verroit, au contraire, l’homme du monde en moi, duquel il se pouvoit le moins méfier, s’unir à eux pour lui tenir le même langage, qui appuieroit si fortement ce que le secret de la poste avoit fourni, à lui Torcy, de raisons qui lui seroient alors étalées avec plus de force et moins de ménagement que Torcy n’avoit osé employer avec lui tête à tête.

Après un long débat, je me rendis, malgré moi, à l’autorité de Torcy, l’homme du monde le plus sage, le plus prudent, le plus modéré, le plus éloigné des partis forts tant qu’il en pouvoit prendre d’autres, et par lui-même naturellement fort retenu et timide ; bref, je ne me rendis point, mais je cédai. Il voulut commencer par le maréchal de Villeroy pour entraîner plus facilement M. le Duc, dont la férocité n’empêchoit pas toujours la timidité, surtout dans un intérêt d’État général et non un intérêt particulier fort grand. Nous convînmes donc que nous irions, Torcy et moi, parler au maréchal de Villeroy au sortir du premier conseil de régence, parce qu’il logeoit aux Tuileries, et que cette visite ensemble seroit moins remarquée en y allant ainsi de plain-pied, et nous trouvant tous deux naturellement ensemble. Nous nous amusâmes donc tous deux exprès après le conseil de régence pour laisser écouler le monde, et donner