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quant aux choses, après toutes celles que je lui avois dites, mais quant au poids des personnes réunies à lui en parler. Torcy s’étendit sur la faiblesse du régent pour le maréchal de Villeroy, dont les preuves se voyoient sans cesse et nouvellement par cette charge de l’infanterie, dont la plus légère réflexion lui auroit fait sentir le piège, et sur la crainte qu’il prenoit si aisément de M. le Duc, témoin nouvellement l’étrange scène qui se passa entre eux à ce conseil de régence, que j’ai rapportée ci-dessus. M. de Torcy me proposa donc de nous concerter avec M. le Duc, et avec le maréchal de Villeroy, pour parler tous quatre ensemble à M. le duc d’Orléans sur l’abbé Dubois, pour essayer en dernier remède l’impression que ce groupe ainsi réuni pourroit faire. Lui et moi étions lors à portée de tout avec M. le Duc, lui anciennement par les liaisons intimes, et de tout temps de Mme de Bouzols, sa sueur, avec Mme la Duchesse mère, et avec les Lassai, moi par les raisons qu’on a vues.

M. le Duc ne pouvoit souffrir le grand vol que prenoit Dubois, et d’être obligé lui-même de compter sur toutes choses avec lui ; et le maréchal de Villeroy le haïssait à mort, et ne s’en cachoit à personne. On a vu que de tout temps j’étois peu à portée de lui, et nouvellement moins que jamais, par le travers que son orgueil lui avoit fait prendre, au lieu de me savoir gré de n’avoir jamais voulu le déplacer ni être gouverneur du roi. Je le dis alors à Torcy, pour éviter de fausses mesures. Cela ne l’arrêta point, il trouvoit le maréchal si frivole qu’il étoit persuadé que cette aventure de gouverneur du roi ne feroit aucun obstacle quand il s’agiroit de servir sa haine contre Dubois, étayé du poids de M. le Duc sur M. le duc d’Orléans, de ma privance avec ce prince et de la confiance qu’il avoit en moi, et de lui, Torcy, fondé sur les lettres étrangères. Je ne pouvois me rendre à cette pensée ; je lui représentai fortement que je gâterois tout, et que le récent dépit de cette place de gouverneur, qu’il rageoit de devoir à mes refus, l’emporteroit chez lui sur toute