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Ensuite on passa au gîte de Mme du Maine. Je représentai que celui-là étoit bien plus délicat à choisir par la qualité, le sexe et l’humeur de celle dont il s’agissoit, propre à tout entreprendre pour se sauver et pour faire rage sans crainte, et par son courage et sa fougue naturelle, et par ne rien craindre pour elle-même par son sexe et sa naissance, au lieu que son mari, si dangereux en dessous, si méprisable à découvert, tomberoit dans le dernier abattement et ne branleroit pas dans sa prison où il trembleroit de tout son corps dans la frayeur continuelle de l’échafaud. Divers lieux discutés, M. le duc d’Orléans se mit à sourire, à regarder M. le Duc et à lui dire qu’il falloit bien qu’il l’aidât, qu’il se prêtât de son côté, que c’étoit l’affaire de l’État et guère moins la sienne que celle de lui régent, et tout de suite lui proposa le château de Dijon. M. le Duc trouva la proposition étrange, convint qu’il falloit mettre Mme du Maine en lieu extrêmement sûr, mais que de le faire geôlier de sa tante, cela ne se pouvoit accepter. Toutefois il le dit aussi en souriant, et, par sa contenance, donna lieu au régent d’insister. M. le Duc se défendit, je ne disois mot, et je regardois de tous mes yeux. À la fin M. le Duc me demanda s’il n’avoit pas raison. Je me mis à sourire aussi et je répondis que je ne pouvois nier qu’il n’eût raison ni moins encore que M. le duc d’Orléans ne l’eût et plus grande et meilleure. J’avois fort pensé et pesé pendant la petite dispute, et je trouvai un grand avantage pour M. le duc d’Orléans de rendre M. le Duc son compersonnier [1] dans le fait de la prison de Mme du Maine, et par conséquent du duc du Maine aussi, et elle en lieu plus sûr et plus sans espérance de fuite et de ressource qu’aucun, dans le milieu du gouvernement de M. le Duc, et dans une place de son entière dépendance ; je ne dissimulerai pas, non plus, un peu de nature, et de trouver la rocambole plaisante

  1. Vieux mot employé plusieurs fois par Saint-Simon dans le sens d’associé.