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pour le troubler, et qu’il n’y avoit à son sens rien de plus pressé que d’étourdir leurs complices par un coup de cet éclat, et les priver subitement de toutes les machines que la rage et l’esprit du mari et de la femme savoient remuer. Je louai fort la droiture, l’attachement et le grand sens de l’avis de M. le Duc ; je l’étendis ; j’insistai sur le courage et la fermeté que le régent devoit montrer dans une occasion si critique, et où on en vouloit à lui si personnellement, et sur la nécessité d’effrayer par là toute cette pernicieuse cabale, de leur ôter leur grand appui et de nom et d’intrigue et de moyens, et les rendre par ce grand coup pour ainsi dire orphelins, sans chefs et sans point de réunion ni de subordination, avant qu’ils eussent le temps d’aviser aux remèdes, si ce mal leur arrivoit comme ils le devoient désormais craindre continuellement. M. le duc d’Orléans regarda M. le Duc qui reprit la parole et insista de nouveau sur son avis et le mien. Le régent alors se rendit et n’y eut pas de peine.

Après quelques propos sur cette résolution, on agita où on les gîteroit. La Bastille et Vincennes ne parurent pas convenables, il falloit éviter tentation si prochaine aux partisans qu’ils avoient dans Paris, aux humeurs du parlement, aux manéges qu’y feroit le premier président. On discuta des places, car les arrêter, et les séparer l’un de l’autre, fut résolu tout à la fois ; il s’agit d’abord du gîte du duc du Maine. Entre les lieux agités, M. le duc d’Orléans parla de Dourlens. Je saisis ce nom, j’alléguai que Charost et son fils en étoient gouverneurs, qu’ils l’étoient de Calais, place peu éloignée de l’autre et avoient l’unique lieutenance générale de Picardie, que c’étoient des hommes d’une race fidèle, et personnellement d’une probité, d’une vertu, d’un attachement à l’État dont je ne craignois pas de répondre, et Charost de tout temps mon ami particulier. Sur ce propos, il fut convenu d’envoyer le duc du Maine à Dourlens, et de l’y tenir serré, et bien étroitement gardé.