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d’Orléans ne pouvoit donc ignorer que je ne fusse aujourd’hui au comble de ma joie ; que, dans cette situation, c’étoit non pas seulement un grand manquement de respect, mais encore une insulte à moi d’aller lui annoncer une nouvelle qui faisoit tout à la fois sa plus vive douleur, et ma joie connue d’elle pour la plus sensible. « Vous avez tort, me répondit M. le duc d’Orléans, et ce n’est pas là raisonner ; c’est justement parce que vous avez toujours parlé franchement là-dessus aux bâtards et à Mme d’Orléans elle-même, et que vous vous êtes conduit tête levée à cet égard, que vous êtes plus propre qu’un autre à ce que je vous demande. Vous avez dit là-dessus votre sentiment et votre goût à Mme d’Orléans ; elle ne vous en a pas su mauvais gré ; au contraire, elle vous l’a su bon de votre franchise et de la netteté de votre procédé, fâchée et très fâchée de la chose en soi, mais non point contre vous. Elle a beaucoup d’amitié pour vous. Elle sait que vous voulez la paix et l’union du ménage ; il n’y a personne dont elle le reçoive mieux que de vous, et il n’y a personne de plus propre que vous à le bien faire, vous qui êtes dans tout l’intérieur de la famille, et à qui elle et moi, chacun de notre côté, parlons à cœur ouvert les uns sur les autres. Ne me refusez point cette marque-là d’amitié ; je sens parfaitement combien le message est désagréable ; mais dans les choses importantes, il ne faut pas refuser ses amis. »

Je contestai, je protestai ; grands verbiages de part et d’autre ; bref, nul moyen de m’en défendre. J’eus beau lui dire que cela me brouilleroit avec elle ; que le monde trouveroit très étrange que je me chargeasse de cette ambassade, point d’oreilles à tout cela, et empressements si redoublés qu’il fallut céder.

Le voyage conclu, je lui demandai ses ordres. Il me dit que le tout ne consistoit qu’à lui dire le fait de sa part, et d’y ajouter précisément que, sans des preuves bien fortes contre son frère, il ne se seroit pas porté à cette extrémité. Je lui dis qu’il devoit s’attendre à tout de la douleur de sa femme,