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son tour, il fut surpris de mon ignorance, et m’apprit que l’ambassadeur d’Espagne étoit arrêté. Dès que j’eus mangé un morceau, je quittai la compagnie, et m’en allai au Palais-Royal, où j’appris de M. le duc d’Orléans tout ce que je viens de raconter. Je lui parlai des papiers ; il me dit que l’abbé Dubois les avoit ; qu’il n’avoit pas eu le temps encore de les examiner, ni de lui en rendre compte ; qu’il alloit seulement montrer quelque chose au conseil de régence, qu’il avoit voulu instruire lui-même sur cet éclat. Ces propos et divers autres aussi vagues gagnèrent le temps, et je m’en allai l’attendre aux Tuileries. J’y trouvai de l’étonnement sur plusieurs visages, quelques petits pelotons de deux, de trois et de quatre ensemble ; en général, des gens frappés de l’éclat de l’arrêt d’un ambassadeur d’Espagne, et peu enclins à l’approuver.

M. le duc d’Orléans arriva peu après. Il avoit, mieux qu’homme que j’aie connu, le talent de la parole, et, sans avoir besoin d’aucune préparation, il disoit ce qu’il vouloit, ni plus ni moins ; les termes étoient justes et précis, une grâce naturelle les accompagnoit, avec l’air de ce qu’il étoit, toujours mêlé d’un air de politesse. Il ouvrit le conseil par un discours sur les personnes et les papiers arrêtés à Poitiers, qui avoient découvert une conspiration fort dangereuse contre l’État, prête à éclater, dont l’ambassadeur d’Espagne étoit le principal promoteur. Son Altesse Royale allégua les raisons pressantes qu’il avoit eues de s’assurer de la personne de cet ambassadeur, de faire visiter ses papiers, de le faire garder par du Libois et par les mousquetaires. Il s’étendit à montrer que la protection du droit des gens ne s’étendoit pas jusqu’aux conspirations ; que les ambassadeurs s’en rendoient indignes quand ils entroient, encore plus quand ils excitoient des complots contre l’État où ils résidoient. Il cita plusieurs exemples d’ambassadeurs arrêtés pour moins. Il expliqua les ordres qu’il avoit donnés pour informer de sa part tous les ministres étrangers qui