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à chaque pas réglé par Dubois. Cet abbé fut le seul, l’unique, le suprême conducteur et modérateur, avec un empire et une jalousie que rien ne troubla, et qui ne trouva que soumission aveugle la plus exacte dans la frayeur et le tremblement de ces deux hommes, qui reçurent dans cette servile disposition les ordres qu’ils en attendoient à chaque instant, et jusque pour chaque minutie, uniquement occupés d’une obéissance littérale et aveugle, à laquelle ce maître terrible ne leur laissa pas ignorer que leur fortune étoit singulièrement attachée. Ainsi la connoissance entière et effective de cette profonde affaire et de toutes ses différentes parties demeura uniquement à l’abbé Dubois tout seul, qui ne s’y servit aussi que de ces deux seuls hommes, auxquels il ne communiqua que par mesure et que ce qu’il lui convint de leur communiquer. Il ne traita pas M. le duc d’Orléans avec plus de confiance, à qui le garde des sceaux et Le Blanc n’osèrent jamais rien rendre que les leçons précises, et bien exactement, qu’ils recevoient pour cela de l’abbé Dubois, et au temps, au ton et à la mesure qu’il leur prescrivoit à chaque fois. Par cette conduite, je ne puis assez le répéter, Dubois demeura seul instruit et maître absolu du fond de tout le secret de l’affaire, du degré et du sort des coupables, d’en augmenter et d’en diminuer le nombre et le poids à sa volonté, sans crainte de pouvoir être démenti, ni même contredit, ni traversé en la moindre chose. On arrêtoit les gens et on les relâchoit sur les ordres du roi donnés par le régent, dont l’abbé Dubois disposoit seul et absolument, sans que jamais il y ait eu de démarches ni de procédures juridiques, parce qu’elles n’auroient pas pu être également dans sa main.

Le garde des sceaux, qui avoit le plus de part en la confiance de l’abbé Dubois et qui en a toujours espéré et été ménagé pendant sa disgrâce, est mort avant lui dans ces dispositions et a emporté avec lui ce qu’il savoit de ce secret. Le Blanc, déjà poussé et chassé par Dubois avant sa mort, et