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que sa résolution de n’en rien faire étoit si bien prise, que rien ne la lui feroit changer, et toutefois au bout de huit jours, la guerre à l’Espagne fut déclarée.

Pendant ces huit jours, je fis ce que je n’ai jamais fait pendant toute la régence : j’allai trois ou quatre fois chez M. le duc d’Orléans, et, ce qui ne m’est jamais arrivé qu’alors, jamais je ne le pus voir. L’inquiétude de la guerre, qui m’y avoit conduit, augmenta par cette clôture, où je vis bien que Dubois le tenoit enfermé pour moi. Je lui écrivis pour demander à le voir : point de réponse ; je récrivis de nouveau : il me fit dire verbalement que, dès qu’il me pourroit voir, il me le manderoit. Alors je jugeai la chose désespérée, et je ne me trompai pas.

Le jour que la nouvelle éclata, il me manda qu’il me verroit quand je voudrois. J’allai au Palais-Royal, je trouvai un homme embarrassé, la tête basse, qui de honte n’osoit me regarder. Mon abord fut froid, aussi le silence dura assez longtemps. Il le rompit enfin d’une voix basse par un « Que dirons-nous ? — Rien du tout, lui répondis-je, parce qu’aux choses faites il n’y a plus à parler, il n’y a qu’à souhaiter que vous vous en trouviez bien. Du reste, je vous supplie de croire que, pour quelque intérêt particulier ou personnel que ce pût être, je ne vous aurois pas pourchassé comme j’ai fait inutilement depuis huit jours. Vous savez que mon goût ni ma coutume n’est pas de vouloir forcer les portes ; mais j’ai cru que mon attachement pour vous et mon devoir à l’égard du bien de l’État me devoient faire sortir de mon naturel et de toutes bornes. Vous n’avez pas jugé à propos de me voir, je m’en lave les mains ; parlons maintenant d’autre chose ; » et tout de suite je tire des papiers de mes poches et je les étends sur son bureau. Il en fit le tour pour s’y aller asseoir sans dire une parole, et tant que je fus avec lui je ne vis qu’embarras, souplesses et caresses ; de mon côté, je ne montrai point d’humeur. Il fallut après du temps, pour en parler à la régence et pour dresser et lui montrer