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sens de la sorte, qu’espéreriez-vous de tous les autres vrais François ? »

La sincérité, la vérité, la force de ce discours accabla le régent, et le tint assez longtemps en silence, la tête et le visage entre ses deux mains, les coudes sur son bureau, comme il se mettoit toujours quand il étoit fort en peine ; puis il avoua sans détour que j’avois raison, et que je lui rendois un grand service de lui parler de la sorte.

Là-dessus, M. le Duc entra. Le régent le mena d’abord dans la galerie, et je demeurai dans le grand salon à me promener, où, assis et le bureau entre deux, la conversation s’étoit passée. La visite de M. le Duc fut très courte, et M. le duc d’Orléans et moi nous remîmes aussitôt à son bureau. J’y voulus déployer les papiers que j’y avois mis, mais il ne me le permit pas, et me dit qu’il falloit continuer notre raisonnement qui rouloit sur des choses bien plus importantes. Il se leva, et nous nous promenâmes dans le salon et dans la galerie.

Je lui dis que je n’avois point de nouveau raisonnement à faire, que je lui avois tout dit, que redire ne seroit que répéter et rebattre, mais que je croyois aussi en avoir assez dit pour avoir dû le persuader et l’empêcher de tomber dans le précipice par les pièges de l’ambition de l’abbé Dubois, qui, de l’un à l’autre, l’engageoit où il ne devoit jamais se laisser aller. Le régent me protesta qu’il le feroit mettre dans un cachot, s’il osoit jamais faire un pas vers la pourpre, et convint avec moi de ne point rompre avec l’Espagne. Je tâchai de l’y affermir de plus en plus ; puis je lui dis : « Vous voilà donc bien persuadé et bien convaincu, mais je ne serai pas sorti d’ici que l’abbé Dubois vous reprendra et vous retournera, verra que c’est depuis que je vous ai entretenu que vous ne voulez plus vous déclarer contre l’Espagne, fera si bien qu’il vous changera et vous tiendra de si près qu’il viendra à bout de ce qu’il s’est mis dans la tête, et vous fera déclarer contre l’Espagne. » Le régent m’assura