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secrets, et je lui rappelai fort en détail tout ce que je lui avois allégué alors contre la rupture avec l’Espagne dont il avoit été si bien convaincu, qu’il n’avoit persisté à donner les subsides contre mon avis que dans la prétendue certitude du secret et de nul danger d’engagement plus fort, ni que les choses pussent aller trop loin de la part de l’empereur et de l’Angleterre contre l’Espagne, choses que je lui avois toujours fortement contestées. La rupture à laquelle il étoit violemment poussé par l’abbé Dubois fut longuement et fortement discutée.

Le régent ne trouva point de réponse valable à mes raisons ; mais il étoit embarrassé de l’empereur, enchanté par l’Angleterre, plus que tout entraîné par sa faiblesse pour l’abbé Dubois, qui comptoit la fortune après laquelle il soupiroit avec de si vifs élans indissolublement attachée à la rupture. Voyant donc le régent convaincu, mais pourtant point persuadé, et gémissant intérieurement des chaînes dans lesquelles il se sentoit entravé, j’imaginai tout à coup de les lui faire rompre par quelque chose d’extraordinaire. Je lui dis donc avec feu que je le suppliois de vouloir bien ne se pas effaroucher d’une supposition impossible, de m’écouter tout du long et de suivre mon raisonnement : « S’il vous étoit aussi évident, lui dis-je, qu’il y eût quelque part à portée de vous un devin ou un prophète qui sût clairement l’avenir, et qui fût en pouvoir et en volonté de répondre à vos consultations, comme il est évident que cela n’est pas, n’est-il pas vrai qu’il y auroit de la folie d’entreprendre une guerre sans avoir su de lui auparavant quel en seroit le succès ? Si ce prophète ne vous annonçoit que places et batailles perdues, n’est-il pas vrai encore que vous n’entreprendriez pas cette guerre, et que rien ne vous y pourroit entraîner ? Et moi je vous dis que sur celle dont il s’agit votre résolution devroit être aussi fermement la même, si cet homme merveilleux ne vous promettoit que victoires et que succès, et en voici mes raisons : dans l’un et dans l’autre