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plus d’être le modérateur de l’Europe ; moi, au contraire, que le secret et l’aiguière lui échapperoient l’un et l’autre, et bientôt, et qu’il se trouveroit dans un embarquement dont il auroit tout lieu et tout le temps de se bien repentir. En effet, de là à la rupture, il s’écoula peu de mois. Il arriva, comme je l’avois prévu, que l’Espagne fut promptement informée de l’engagement que le régent avoit pris avec l’empereur et l’Angleterre, et qu’elle redoubla tout aussitôt ses soins à donner à M. le duc d’Orléans tant d’affaires domestiques, qu’il ne fut plus à craindre pour celles du dehors, dont on verra bientôt les effets, mais qui heureusement ne firent que montrer l’étendue des projets et de ses ressorts.

La rupture s’approchoit par les ruses de l’abbé Dubois, qui n’en laissoit voir à personne que ce qu’il ne pouvoit empêcher, par l’extérieur de mesures qui ne se qualifioient que de simples précautions ; et il avoit fermé la bouche là-dessus à M. le duc d’Orléans, jusque avec le très petit nombre de ceux avec qui il s’ouvroit le plus sur différentes affaires ; car nul n’eut jamais sa confiance sur toutes que l’abbé Dubois, depuis qu’il s’y fut tout à fait abandonné.

Dubois ne put pourtant si bien faire que le secret m’en fût gardé jusqu’au bout. Une après-dînée que j’allai au Palais-Royal pour mon travail ordinaire, tête à tête, comme j’avois accoutumé un jour au moins de chaque semaine, et que je commençois à en mettre les papiers sur le bureau de M. le duc d’Orléans, il me dit qu’avant de commencer, il avoit chose bien plus importante à me dire, sur laquelle il vouloit raisonner à fond avec moi ; et, tout de suite, m’expliqua la situation en laquelle il se trouvoit avec l’empereur, l’Angleterre et l’Espagne, et combien il étoit vivement pressé de se déclarer ouvertement et par les armes contre la dernière.

Après avoir bien écouté tout son récit, je le fis souvenir de ce que je lui avois dit et prédit à l’Opéra, quand, tête à tête, nous y agitâmes, dans sa petite Loge, l’affaire des subsides