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aller directement où il aspire, ne songeoit, pour y parvenir, qu’à servir si utilement nos ennemis naturels contre des amis que tout nous doit faire à jamais considérer comme des frères, et j’ajoutai avec feu : « Qu’il obtienne donc la pourpre par le crédit de l’empereur qui peut maintenant tout à Rome, et par celui du roi Georges, qui peut infiniment sur l’empereur ! »

M. le duc d’Orléans, qui jusque-là m’avoit écouté attentivement et tranquillement, excepté quelques applaudissements sur ne pas rompre avec l’Espagne, s’écria que voilà comme j’étois, suivant toujours mes idées aussi loin qu’elles pouvoient aller ; que Dubois étoit un plaisant petit drôle pour imaginer de se faire cardinal ; qu’il n’étoit pas assez fou pour que cette chimère lui entrât dans la tête, ni lui, si elle y entroit jamais, pour le souffrir ; que pour son intérêt personnel, il ne risqueroit rien, parce qu’il ne s’agissoit que de subsides secrets qui seroient toujours ignorés de l’Espagne, et qu’à l’égard de celui de l’État, il se garderoit bien de lâcher aux Anglois ni à l’empereur la courroie assez longue pour que la puissance de l’empereur pût s’augmenter, ni le commerce des Anglois s’accroître. Je ne me payai point de ces raisons ; j’assurai le régent qu’en de telles liaisons on étoit toujours mené plus loin qu’on ne pensoit et qu’on ne vouloit, et pour le secret de ses subsides, je lui maintins que l’intérêt de ces deux puissances étoit si capital de le brouiller avec l’Espagne, qu’elles se garderoient bien de ne le pas publier comme le moyen le plus court et le plus certain d’arriver à leur but principal, qui étoit de le forcer à la rupture ouverte, et par là même à une liaison avec elles de nécessité et de dépendance.

Tout cela agité, approfondi, discuté et disputé entre nous deux, tant que l’opéra dura sans le voir ni l’entendre, nous laissa chacun dans sa persuasion. M. le duc d’Orléans, qu’il demeureroit très sûrement maître de son secret et de son aiguière, et que, par cette complaisance, il s’assureroit d’autant