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la douleur de cette commission, mais qui m’exhorta à ne pas perdre de temps à aller au Palais-Royal où j’étois attendu avec impatience. Il ajouta que c’étoit une confiance pénible, mais que M. le duc d’Orléans lui avoit dit ne pouvoir prendre qu’en moi, et le lui avoit dit de manière à ne lui pas laisser d’espérance de m’en excuser ni de grâce à le faire avec trop d’obstination. Je rentrai avec lui dans mon cabinet si changé, que Mme de Saint-Simon s’écria, et crut qu’il étoit arrivé quelque chose de sinistre. Je leur dis ce que je venois d’apprendre, et, après que Biron eut causé un moment et m’eut encore pressé d’aller promptement et exhorté à l’obéissance, il s’en alla dîner. Le nôtre étoit servi. Je demeurai un peu à me remettre du premier étourdissement, et je conclus à ne pas opiniâtrer M. le duc d’Orléans par ma lenteur à faire ce qu’il voudroit absolument, en même temps à n’oublier rien pour détourner de moi un message si dur et si pénible. J’avalai du potage et un oeuf, et m’en allai au Palais-Royal.

Je trouvai M. le duc d’Orléans seul dans son grand cabinet, qui m’attendoit avec impatience, et qui se promenoit à grands pas. Dès que je parus, il vint à moi et me demanda si je n’avois pas vu Biron. Je lui dis que oui, et qu’aussitôt je venois recevoir ses ordres : il me demanda si Biron ne m’avoit pas dit ce qu’il me vouloit ; je lui dis que oui ; que, pour lui marquer mon obéissance, j’étois venu dans le moment à six chevaux, pour être prêt à tout ce qu’il voudroit, mais que je croyois qu’il n’y avoit pas bien fait réflexion. Sur cela, l’abbé Dubois entra, qui le félicita du succès de cette grande matinée, qui en prit occasion de l’exhorter à fermeté et à se montrer maître ; je me joignis à ces deux parties de son discours ; je louai Son Altesse Royale de l’air dégagé et néanmoins appliqué et majestueux qu’il avoit fait paroître, de la netteté, de la justesse, de la précision de ses discours au conseil, et de tout ce que je crus susceptible de louanges véritables. Je voulois l’encourager pour les suites et le capter pour le mettre bien à son aise avec moi, et m’en avantager pour rompre