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Députation du parlement au régent, inutile, en faveur du président de Blamont. — Abbé Brigault à la Bastille. — D’Aydie et Magny en fuite. — La charge du dernier donnée à vendre à son père. — Tous les ministres étrangers, au Palais-Royal, sans aucune plainte. — On leur donne à tous des copies des deux lettres de Cellamare à Albéroni, qui avoient été lues au conseil de régence.


J’étois inquiet de voir que tout se préparoit à rompre avec l’Espagne. L’intérêt de l’abbé Dubois y étoit tout entier ; on a vu, dans ce que j’ai donné de M. de Torcy, quelle fut sa conduite en Angleterre. Il n’avoit osé y conduire son maître que par degrés, et ce fut à ce premier degré, dont je prévis l’entraînement et les suites, que je crus devoir m’opposer à temps. Il n’étoit alors question que de subsides de la France à l’Angleterre, se déclarant contre l’Espagne, conjointement avec l’empereur, et ces subsides devoient être secrets. Après avoir effleuré cette matière avec M. le duc d’Orléans, nous convînmes, lui et moi, de la traiter à fond. Il en usa pour cette affaire comme il avoit fait pour celle des appels, et me traîna, malgré tout ce que je lui pus représenter, dans sa petite loge de l’Opéra. Il en ferma la porte après avoir défendu qu’on y frappât, et là, tête à tête, nous ne songeâmes à rien moins qu’à l’opéra. Je lui représentai le danger d’élever l’empereur, à l’abaissement duquel et de sa maison la France avoit sans cesse travaillé depuis les grands coups que le cardinal de Richelieu lui avoit su porter, toutes les fois que l’État n’avoit pas été trahi par l’intérêt et l’autorité des reines mères italiennes ou espagnoles ; de l’empereur qui, de plus, ne pardonneroit jamais à la France d’avoir enlevé l’Espagne et les Indes à sa maison et à lui-même, de l’empereur enfin qui avoit mis la France à deux doigts de sa perte, et qui, lorsque la reine Anne la sauva, fit l’impossible contre elle, et fut le dernier de tous les alliés à signer la paix ; que l’agrandissement de l’Angleterre et du roi Georges n’étoit pas moins redoutable, qui, sous les trompeuses apparences d’une feinte amitié, étoient nos plus anciens et plus naturels