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eus de le rendre, pour nous mettre en état, par cette instruction, d’opiner en connoissance de cause sur la cassation ou la manutention de cet arrêt. Je vis tout le conseil dresser les oreilles tandis que je parlois, et le garde des sceaux se secouer comme un homme fort mécontent.

Mon avis frappa M. le duc d’Orléans si bien qu’il dit que j’avois raison et qu’il n’y avoit qu’à opiner là-dessus. Il demanda l’avis à Canillac, puis aux autres : tous furent de mon avis, jusqu’à d’Effiat et à M. de Troyes, qui n’osèrent montrer la corde, voyant bien que cela passeroit tout de suite. Le garde des sceaux même se contenta de faire le plongeon au lieu d’opiner. Quand ce fut à M. le duc d’Orléans : « Cela passe, dit-il, de toutes les voix. » Puis, se tournant au garde des sceaux : « Monsieur, lui dit-il, demandez les motifs de son arrêt à la chambre des vacations du parlement de Rouen. » Au lieu de répondre, Argenson fit une pirouette sur son siège, puis dit tout bas au duc de La Force, qui me le rendit après : « Monsieur, il n’y a plus moyen de parler ici de rien qui touche à la constitution ; aussi vous promets-je bien qu’on n’y en parlera plus. » Il tint exactement parole, et oncques depuis il n’y en a été parlé, pas même de cette affaire commencée. Mais, assez longtemps après, Pontcarré, premier président du parlement de Rouen, qui étoit de mes amis, m’apprit, à ma grande surprise, qu’ils savoient tous dans leur compagnie qu’ils m’avoient l’obligation d’avoir sauvé leur arrêt ; qu’il avoit tenu et qu’il avoit fait mettre dans leurs registres ce que j’avois fait pour eux au conseil de régence.

M. le duc d’Orléans accorda la liberté de revenir aux deux conseillers du parlement de Paris, mais il ne voulut pas ouïr parler du président Blamont, qui s’étoit distingué en sédition. Il s’en fomentoit beaucoup dans le royaume par le moyen de faux sauniers. Ces gens, qui ne songeoient qu’à leur profit dans ce dangereux négoce, grossirent peu à peu. Il y avoit longtemps que ceux qui méditoient