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être si cachées qu’elles ne fussent découvertes ; quatre autres le furent encore bientôt après.

Mme la duchesse d’Orléans, malgré sa douleur sur l’état du duc du Maine, alla à l’Opéra dans la petite loge de M. le duc d’Orléans, parce qu’elle n’alloit jamais dans la grande loge qu’avec Madame. La raison en est que Madame y a un tapis et que Mme la duchesse d’Orléans n’y en peut avoir. On voit donc que jusqu’alors le tapis étoit réservé aux seuls fils de France. Les princesses du sang en ont depuis franchi le saut à leurs tribunes dans les églises de Paris, mais elles n’ont encore osé en mettre à leurs loges aux spectacles. On n’en comprend pas bien la différence, si ce n’est qu’elles vont seules aux églises, et qu’au spectacle elles mènent les dames qui seroient avec elles sur le tapis, à moins que les princesses du sang fussent seules sur le banc de devant, ce qu’elles n’ont encore osé faire ; mais l’expédient qu’elles y ont trouvé est de n’aller plus aux loges ordinaires, et d’en louer à l’année de petites, reculées sur le théâtre, où elles ne paraissent point en spectacle. Ainsi, tapis et non tapis est évité, et c’est la solution de l’enlèvement que fit Mme la Duchesse la mère, avec la violence qu’on a vue en son lieu, de la petite loge qu’avoit la maréchale d’Estrées.

Le maréchal d’Harcourt mourut enfin le 19 octobre, n’ayant que cinquante-cinq ans. Plusieurs apoplexies redoublées l’avoient réduit à ne pouvoir articuler une syllabe, à marquer avec une baguette les lettres d’un grand alphabet placé devant lui, qu’un secrétaire, toujours au guet, écrivoit à mesure et réduisoit en mots, et à toutes les impatiences et les désespoirs imaginables. Il ne voyoit plus depuis longtemps que sa plus étroite famille et deux ou trois amis intimes. Telle fut la terrible fin d’un homme si fait exprès pour les affaires et les premières places par son esprit et sa capacité, et autant encore par son art, et si propre encore par la délicatesse, la douceur et l’agrément de son esprit et de ses manières à faire les délices de la société. Il a été si