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second, par vertu et par diligence, sans autre moyen de grâce ni de privilège. » Ce second état donnoit souvent l’avantage sur la noblesse, placée au premier rang. « On voit tous les jours, ajoute le même écrivain [1], les officiers et les ministres de la justice acquérir les héritages et seigneuries des barons et nobles hommes, et iceux nobles venir à telle pauvreté et nécessité qu’ils ne peuvent entretenir l’état de noblesse. »

Sous François Ier, les abus de la vénalité des charges commencèrent à se manifester de la manière la plus scandaleuse. Ce prince créa jusqu’à des chambres entières du parlement, composées d’un grand nombre de magistrats. Ainsi, en 1524, la création et la vente de vingt charges de conseillers au parlement de Paris lui valut soixante-dix mille livres tournois (monnaie du temps) [2]. La création de seize commissaires au Châtelet, de quarante notaires à Paris, de baillis, etc., [3], fut encore une mesure fiscale. Plusieurs de ces juges ne se faisoient pas scrupule de revendre en détail ce qu’ils avoient acheté en gros. « Il y en a, dit l’ambassadeur vénitien, Marino Cavalli [4], qui poussent si loin l’envie d’exploiter leur position, qu’ils se font pendre tout bonnement à Montfaucon ; ce qui arrive lorsqu’ils ne savent pas se conduire avec un peu de prudence ; car, jusqu’à un certain point, tout est toléré, principalement si les parties ne s’en plaignent pas. »Le même ambassadeur dit que la longueur des procès étoit souvent une spéculation des juges [5] : « Une cause de mille écus en exige deux mille de frais ; elle dure dix ans. »

Ces abus, qui ne firent que s’accroître sous les règnes suivants, provoquèrent les plaintes les plus vives. Bodin, dans son traité de la République, et Montaigne, dans ses Essais, s’élevèrent contre un trafic scandaleux. Mais il fut surtout attaqué par François Hotman [6] ; il ravale la vénalité des charges par une comparaison ignoble empruntée à la boucherie. Il assimile le trafic de ces offices, que l’on achetoit en gros et que l’on revendoit en détail, au commerce d’un boucher qui, après avoir acheté un boeuf, le dépèce et en vend les morceaux [7]. Ces attaques amenèrent d’utiles réformes : la vénalité des charges ne fut pas détruite, mais elle fut soumise à des conditions de

  1. Claude de Seyssel, Traité de la monarchie, deuxième partie, chapitre XX.
  2. Journal d’un bourgeois de Paris sous François Ier, p. 123, 124 (Publication de la Société de l’histoire de France).
  3. Ibidem, p. 124, 125, 126, 127.
  4. Relations des ambassadeurs vénitiens, I, 265.
  5. Ibidem, 263.
  6. Franco-Gallia, chap. XXI.
  7. «  Sicuti lanii bovem opimum pretio emptum in macello per partes venditaut.  »