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Les contraintes des receveurs des tailles sont une autre taille pire que la première : voilà ce que j’entends dire de tous côtés.

« Mercredi 16 juin. — J’ai recueilli dans ma province ce que j’entends (lire d’impartial sur l’état des habitants ; il s’ensuit que la misère augmente et augmentera de plus en plus, par les mauvais principes et le faux travail du ministère et des intendants. Je dis faux travail ; car on se donne bien de la peine pour faire plus mal.

« Si on laissoit faire, on ne détourneroit point de l’agriculture pour porter à des arts inutiles ; on ne feroit pas de la campagne un séjour affreux comme on fait. Par ce qu’on fait, la campagne se dépeuple ; ce qui augmente chaque jour.

« Les grands chemins et belles routes sont bonnes, mais ceux qui les dirigent ont impatience d’avancer, et précipitent ce travail par des corvées qui achèvent d’écraser les villages voisins à quatre lieues à la ronde. Je vois ces pauvres gens y périr de misère : on leur paye quinze sols ce qui vaut un écu, pour leurs voitures. Ainsi en a-t-on encore pour longtemps chez moi à faire des vingt voitures de huit lieues chacune, qui met les habitants à l’aumône.

« On ne voit que villages ruinés et abattus, et nulles maisons qui se relèvent ; ce qui augmente.

« Les receveurs des tailles et du sel font chaque année des frais pour la moitié en sus de l’imposition. Les pauvres sont en retard de payer par impuissance, et supportent ces frais. Les riches n’osent pas payer les receveurs mieux qu’ils ne font, de peur d’être surimposés ; toute la communauté craint le surhaussement l’année suivante, et paye mal exprès ; ainsi la misère s’accroît.

« Tout l’argent du revenu des terres va à Paris ; il ne revient au plat pays (à la campagne) que quelque argent des étrangers pour le blé qu’on envoie. Mais gare une mauvaise récolte t tout périroit. »

Ailleurs, le marquis d’Argenson met en opposition le triste état des campagnes et le luxe de la cour :

« On n’a toujours que des choses fâcheuses, et même funestes, à dire du dedans du royaume. La maladie s’est jetée dans les moutons, à cause de la grande humidité de la terre ; il en périt quantité de troupeaux, surtout dans quelques provinces comme le Berry. On n’a donné encore aucun ordre sur la cherté des blés, et on laisse subsister la permission de les sortir du royaume ; on en donne même des passeports ; je sais une dame qui vient d’en avoir un.

« Le roi vient d’accorder au duc de Chaulnes un don de deux cent soixante mille livres, pour indemnité des dépenses qu’il a faites aux derniers états de Bretagne, outre les revenus et émoluments ordinaires de cette place.

« On a prétendu que l’hôtel de la chancellerie de France seroit mieux avec un appartement de plain-pied ; l’on y change l’escalier à