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à l’exclusion des échevins, et en cela on augmente le produit, parce que les échevins, abusant de leur ministère, favorisoient et leurs parents et presque tous les bourgeois ; mais on est tombé dans un inconvénient encore plus pernicieux. Car ceux dont on se sert pour cette imposition, ayant intérêt à la grossir, exigent au delà de la faculté de chacun, et pour la faculté des payements, ils ont obtenu que les rentes, même viagères, ne seroient payées qu’aux porteurs de quittances de capitation, contre la foi des arrêts qui les exemptent de toute saisie, même pour les deniers de Sa Majesté.

« Ces manques de foi, qui sont la cause du grand discrédit des effets royaux, ne coûtent rien à la plupart des ministres, et ils le font si légèrement, qu’on ne peut s’empêcher de les soupçonner ou d’ignorance ou d’intérêt particulier.

« C’est ici le lieu de faire quelques observations sur l’impôt personnel et arbitraire.

« On a vu l’inconvénient de cet impôt dans l’injustice des répartitions. Il n’est pas moindre dans la difficulté du recouvrement : on n’en donnera pas d’autre exemple que celui de la capitation dont nous venons de parler. On a de la peine à arracher vingt sous par an de capitation d’un artisan, tandis qu’il paye sans attention cinquante livres annuellement pour un minot de sel, et à proportion pour le vin et la viande. C’est que l’impôt réparti sur la denrée ne paroît qu’une plus value de denrée enchérie également pour tout le monde, au lieu que, dans l’impôt personnel, on croit toujours être taxé injustement, et l’on ne manque point d’objets de comparaison qui le persuadent. »

Les faits confirment pleinement ce que l’auteur dit des abus et des inconvénients de la taille. Les Mémoires du marquis d’Argenson en fournissent de nombreuses preuves ; ainsi il parle souvent de la misère des campagnes et même de famines, qu’il attribue aux impôts excessifs. Il écrit dans ses Mémoires encore inédits, à la date du 8 juin 1751 :

« Je suis présentement dans mes terres, à quatre-vingts lieues de Paris. Les apparences de la récolte ne sont que d’une demi-année au plus, pourvu cependant qu’il fasse du chaud ; tous les fruits sont perdus ; la vigne a quelque apparence. On laisse encore sortir le blé, qui va par la Loire à Nantes, et de là en Hollande. Sans cette permission continuée, il n’y auroit pas un sol pour payer les tailles ni les propriétaires des terres. Le poids de la taille est plus fatigant que jamais ; elle est beaucoup plus forte que dans la généralité de Paris. Les corvées pour les chemins et le sel [1] achèvent de les écraser.

  1. L’impôt sur le sel, ou gabelle.