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et non par province, que les intendants sont distribués ; ainsi la Normandie en a trois : Rouen, Caen et Alençon, et il n’y en a qu’un pour les provinces de Limousin et Angoumois.

« Les intendants [1] sont des commissaires tirés du conseil pour rendre compte aux ministres de tout ce qui se passe dans leur district ; et quoiqu’ils prennent la qualité de commissaire de justice, police et finance, leur autorité ne s’étend point sur les contestations ou procès ordinaires ; ce n’est qu’autant qu’ils ont rapport aux habitants des lieux où sont les troupes.

« De ce que nous avons dit sur la manière dont s’impose la taille, il en résulte un arbitraire qui arrête toute industrie, et qui non seulement empêche la culture des terres, nais encore les fait abandonner. Un seigneur n’oublie rien pour obtenir de l’intendant une diminution sur la taille de son village, et il l’obtient à proportion de son crédit à la cour.

« Dans les répartitions particulières, le crédit de l’homme en charge ou riche épouvante le collecteur, qui est obligé de faire tomber tout le fardeau sur le pauvre ; la haine et la vengeance achèvent l’injustice de cette imposition, et le pauvre laboureur, hors d’état de la payer, abandonne sa terre et va mendier avec toute sa famille.

« Dans un état qui m’a été remis des impositions de la taille dans la généralité de Paris en 1720, j’ai vu avec étonnement que, dans des paroisses contiguës, l’une paye jusqu’à quinze sous par livre du bail à ferme, tandis que l’autre ne paye que trois sous.

« Si, à la face de la cour et des ministres, il se commet de pareilles injustices, qu’est-ce qu’on doit penser des provinces ? Je sais aussi qu’il y a environ trois ans qu’un particulier avoit établi une manufacture de savon à Bagnolet, qu’il a été obligé d’abandonner, par la taille exorbitante où il avoit été imposé ; dommage encore plus grand pour la paroisse que pour ce particulier, qui portera son industrie ailleurs, peut-être chez nos voisins.

« Dans l’imposition de la taille sont compris le taillon destiné au payement de l’ordinaire des guerres [2], les fonds pour l’entretien des ponts et chaussées, et, en, temps de guerre, le quartier d’hiver, dont les répartitions se font au sou la livre sur les taillables.

« La capitation, qui est une imposition par tête sans exception, et qui a commencé sous le feu roi [3], s’impose aussi au sou la livre sur les taillables, et arbitrairement sur tous les autres particuliers.

« Il y a à observer qu’actuellement elle s’impose à Paris uniquement par le prévôt des marchands [4],

  1. Voy. sur les intendants, t. III, p. 442.
  2. C’est-à-dire des dépenses ordinaires de l’armée.
  3. Voy. Mémoires de Saint-Simon., t. I, p. 227, 228, note.
  4. Voy. sur le prévôt des marchands, t. III, p. 442.