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D’Alluye, qui étoit l’aîné, eut le gouvernement d’Orléanois de son père, fut encore plus mêlé que sa femme dans l’affaire de la Voisin, furent longtemps exilés, et le mari, qui mourut sans enfants en 1690, n’eut jamais permission de voir le roi, quoique revenu à Paris. Sa femme, amie intime de la comtesse de Soissons et des duchesses de Bouillon et Mazarin, passa sa vie dans les intrigues de galanterie, et quand son âge l’en exclut pour elle-même, dans celles d’autrui. Le marquis d’Effiat, dont il a été si souvent mention ici, avoit épousé une sœur de son mari, dont il n’avoit point eu d’enfants, et qu’il perdit de bonne heure. Il protégea la marquise d’Alluye dans la cour de Monsieur, avec qui elle fut fort bien, et avec Madame toute sa vie. C’étoit une femme qui n’étoit point méchante ; qui n’avoit d’intrigues que de galanterie, mais qui les aimoit tant que, jusqu’à sa mort, elle étoit le rendez-vous et la confidente des galanteries de Paris, dont, tous les matins, les intéressés lui rendoient compte. Elle aimoit le monde et le jeu passionnément, avoit peu de bien et le réservoit pour son jeu. Le matin, tout en discourant avec les galants qui lui contoient les nouvelles de la ville, ou les leurs, elle envoyoit chercher une tranche de pâté ou de jambon, quel que fois un peu de salé ou des petits pâtés, et les mangeoit. Le soir, elle alloit souper et jouer où elle pouvoit, rentroit à quatre heures du matin, et a vécu de la sorte grasse et fraîche, sans nulle infirmité jusqu’à plus de quatre-vingts ans qu’elle mourut d’une assez courte maladie, après une aussi longue vie, sans souci, sans contrainte et uniquement de plaisir. D’estime, elle ne s’en étoit jamais mise en peine, sinon d’être sûre et secrète au dernier point ; avec cela, tout le monde l’aimoit, mais il n’alloit guère de femmes chez elle. La singularité de cette vie m’a fait étendre sur elle.

L’abbé Gautier, dont il est si bien et si souvent parlé dans ce qui a été donné ici, d’après M. de Torcy, sur les négociations de la paix avec la reine Anne, et de celle d’Utrecht, mourut dans un appartement que le feu roi lui avoit donné dans le château neuf de Saint-Germain, avec des pensions et une bonne abbaye. Il s’y étoit retiré aussitôt après ces négociations où il avoit été si heureusement employé, après en avoir ouvert lui-même le premier chemin, et rentra en homme de bien modeste et humble, dans son état naturel, et y vécut comme s’il ne se fût jamais mêlé de rien, avec une rare simplicité, et qui a peu d’exemples en des gens de sa sorte, qui, dans le maniement des affaires les plus importantes et les plus secrètes, dont lui-même avoit donné la première clef, sans s’intriguer, s’étoit concilié l’estime et l’affection du roi et de ses ministres, de la reine Anne et des siens, et des plénipotentiaires qui travaillèrent à ces deux paix.

Le célèbre archevêque de Tolède mourut aussi en ce même temps ; il s’appeloit don Francisco Valero y Losa, et il étoit simple curé d’une petite bourgade. Il y rendit des services si importants pour soutenir les peuples dans le fort de la guerre et des malheurs, les exciter en faveur du roi d’Espagne, trouver des expédients pour les marches et les subsistances, avoir des avis sûrs de ce que faisoient et projetoient