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Le comte de Marsan fit par son testament M. de Matignon tuteur de ses enfants, avec l’autorité la plus étendue et les plus grandes marques de confiance ; et tout le monde est convenu que le comte de Matignon y répondit sans cesse par tous les soins, l’application et les tendresses d’un véritable père, et le succès d’un homme habile et accrédité. Le comte de Marsan, qui n’avoit de soi point de bien, ne s’en étoit fait que d’industrie, de grâces et de rapines, avoit mangé à l’avenant, et laissé ses affaires en mauvais état. Matignon estima qu’un effet tel que l’hôtel de Marsan, à Paris, étoit trop pesant pour des enfants en bas âge, dont le prix aideroit fort à liquider les biens, et crut aussi, à la conduite qu’il avoit eue dans leurs affaires, la [1] pouvoir acheter quoique tuteur. Il l’acheta donc, y dépensa beaucoup, y alla loger et céda la sienne au maréchal son frère. M. de Marsan étoit mort en 1708, veuf pour la seconde fois depuis près de neuf ans. Le prince de Pons, son fils aîné, étoit né en 1696 ; par conséquent il avoit vingt-quatre ans en cette année 1720, et il étoit marié en 1714 à la fille cadette du duc de Roquelaure. Il pria le duc d’Elboeuf d’aller dire à Matignon de sa part qu’il se croyoit obligé de retirer l’hôtel de Matignon, qui étoit l’hôtel de Marsan que le comte de Matignon avoit achetée et payée, mais qu’il ne vouloit point que M. de Matignon songeât à en sortir, et qu’il l’y laisseroit toute sa vie. Le comte de Matignon, aussi surpris qu’indigné du compliment, répondit tout court qu’il espéroit d’assez bonnes raisons pour ne devoir pas craindre ce retroit ; qu’il le remercioit de la manière polie dont il lui avoit parlé ; mais qu’il l’assuroit en même temps qu’il ne profiteroit pas de la grâce que le prince de Pons prétendoit lui faire ; et qu’il pouvoit lui dire que, s’il étoit assez malheureux pour perdre ce procès, il quitteroit sa maison le lendemain et n’y remettroit jamais le pied. Les procédures ne tardèrent pas après de la

  1. L’auteur a fait hôtel féminin.